Il est possible de considérer notre vie comme une longue voie ferrée qui disparaît à l’horizon. On avance à pied sur cette voie et on enjambe rail après rail sans trop savoir combien notre voyage totalisera de rails ou de kilomètres.
J’ai traversé l’autre jour une voie ferrée complètement déserte qui serpentait au beau milieu d’une forêt. Au centre des traverses, j’ai jeté un regard en arrière et en avant et je me suis demandé combien de trains avaient défilé sur cet acier vissé au sol humide. J’ai pensé à ma vie, à toutes ces vies qui se formaient rail après rail sans même s’en rendre compte. Souvent persuadés que nous faisons nos propres choix, nous oublions que certains rails ne sont que le fruit d’une génération bien pensante ou plutôt mal pensante.
Je suis née à la fin des années 80 et comme beaucoup de femmes de la fin du siècle dernier, je suis le fruit d’une émancipation durement obtenue qui a posé les rails de mon chemin de vie. On m’a souvent pointé les défaillances des hommes, les mauvais traitements des femmes, la course à l’égalitarisme frénétique, l’orgueil de « faire carrière », le caractère accessoire de la maternité et la révolution sexuelle.
Par conséquent, toutes les « vraies femmes », c’est-à-dire et selon l’expression consacrée, les femmes qui réussissent, sont celles qui volent la vedette aux hommes, surpassent les hommes, remplacent les hommes et n’ont pas besoin des hommes.
Pour ma part, je trouve cette définition de la femme moderne « couteau suisse » peu attrayante et extrêmement dénaturée. Je vois les fruits de Mai 68 comme une armée de femmes soixantenaires totalement performantes, indépendantes et manifestement seules. Elles ont plongé avec délice dans la « liberté » sexuelle que cette nouvelle ère révolutionnaire leur offrait et, entre coup d’un soir, pilule du lendemain, avortement in extremis et bébé à emporter, elles ont perdu tout sens de la féminité et toute confiance dans les hommes.
J’ai beaucoup écouté et beaucoup observé ces dernières années, j’ai beaucoup marché aussi pour comprendre ce que cela signifiait « être femme » et de nouvelles pensées, de nouveaux rails se sont dessinés sous mes pieds.
La femme du XXIe siècle a perdu le pouvoir de « dire non ». Paradoxalement, elle est experte dans les bras de fer à l’étage des Ressources humaines, mais elle est totalement conciliante quand il s’agit de l’aventure d’un soir, du coup de foudre hormonal, ou bien d’être sponsor à plein temps d’un parasite qui se présente comme « homme en devenir ».
Croit-elle que tout accepter, tout donner et tout financer soit le couronnement des guéguerres féministes ? Pour moi, c’est un véritable esclavage moderne qui ne se dit pas, c’est l’abdication de la féminité et le renoncement à la vertu souveraine.
On nous a menti, on m’a menti très longtemps. Les livres avant-gardistes, les films porte-étendards du « girl power », les self-made-women nous ont sciemment et trop longtemps caché la vérité : ne pas dire non à cette société en état de dégénérescence accélérée, c’est signer sa propre désespérance. Être allées au bout de nobles idées pour se rendre compte qu’on est vidé de tout et de tout le monde, particulièrement des hommes dont on a fait nos propres bourreaux. Puis, en vouloir à tout et à tout le monde, se dégoûter soi-même, mais continuer d’être forte, du moins donner le change, pour se voiler la face quelques années de plus et éviter le triste constat que la révolution sexuelle, la soi-disant libération de la femme n’est qu’une autre forme de prostitution moderne.
Il n’est guère aisé de sortir des sentiers battus, de tourner l’aiguillage et de choisir une voie beaucoup plus étroite et totalement inconnue. Pour moi, cette nouvelle direction donnée à ma vie consiste à savoir dire non à ce que je n’ai pas choisi, à ce qui est rabaissant, non à la performance et à l’efficacité, non à l’auto-suffisance, non à la compétition avec l’homme, non au sentiment de supériorité qui a galvanisé une génération entière de femmes voraces.
C’est alors qu’un espace s’est ouvert en moi, aussi vide et mystique que la Piazza San Marco en hiver, je n’imaginais pas que les dalles et les arcades pouvaient devenir tout à coup silencieuses. J’ai compris que dans ce silence étrange, si nouveau pour moi, je pouvais remercier et recevoir. Il y avait enfin la place d’être femme et de respecter l’homme pour tout ce qu’il est et tout ce qu’il peut devenir.
Je reprends le chemin d’Eve, la première de toutes les femmes, et je fais le même choix qu’elle : c’est celui des douleurs de l’enfantement, d’un monde imparfait, des cailloux dans mes chaussures et non plus de la douce herbe fraîche de l’Eden glissant sous les pieds nus ; c’est celui des larmes occasionnelles, des regrets déchirants, des nuits de colère.
Pourquoi choisir une telle voie ? Parce que dans ce monde, dans cette vie, rien n’est immobile et parfait comme dans notre premier jardin, tout change et nous aussi, rien ne dure, les joies comme les peines, les succès comme les échecs. Tout passe, tout se transforme pour devenir plus complet et plus abouti.
Je choisis le chemin d’Eve, parce qu’il est celui des plus grandes joies, parce que lui seul peut me conduire aux rivages éternels, parce qu’il forme ma tendresse de femme, parce qu’il passe par Adam, mon Adam. C’est alors que j’ai emprunté les rails de l’Origine, l’origine de notre monde, de notre nature, de ce que cela signifiait alors être femme et être homme. J’ai su que loin de la compétition et de la confusion des genres se trouvait la vérité. Si je savais qui j’étais, alors je pouvais m’aimer, aimer Dieu et aimer mon homme…
« C’est difficile d’être une femme au XXIème siècle… On nous a appris à être indépendantes, polyvalentes et brillantes. Nous sommes des vraies femmes, « libérées » au bon sens du terme, mais il y a encore du machisme. C’est difficile avec les hommes. Soit ils nous contrôlent, soit ils sont faibles. En bref, ils sont décevants… »
J’entends souvent ce discours et ces interrogations chez mes amies et connaissances. Jamais la femme n’a été plus perdue qu’au siècle de sa « libération ». Étonnant, non ?
Avez-vous remarqué le nombre de femmes « libérées » désespérément larguées, désespérément seules ? La femme est devenue cet atome flottant dans l’univers, dilaté et errant, navire sans ancre, sans port, sans homme. Moi aussi je pensais comme ces femmes autrefois, j’étais fière de mon indépendance, de mon cynisme, de mon non-conformisme au modèle traditionnel de toutes mes cousines mariées à la ribambelle et casées à qui mieux mieux.
Je me disais « Pouah ! Les couches sales qui traînent sur le rebord de la baignoire ! Ça craint ! Moi ? Prendre la température des gosses ? Jamais ! ». Bref, vous l’aurez compris, j’étais bienheureuse dans mon célibat 4****. À moi les soirées popcorn et comédies romantiques ! À moi la gym et les abdos quatre fois par jour (comme si je prévenais les rondeurs d’une future hypothétique grossesse ou bien neutralisais les pots de Ben and Jerry gobés devant le sourire béat de Keanu Reaves une fois qu’il retrouve enfin sa Kate perdue dans le temps avec qui il communique via une boîte aux lettres magique – concept franchement niais quand on y réfléchit) !
J’appartiens à cette génération de femmes qui ont baigné dans la romance fabriquée par les studios Hollywood, Bollywood, Neuneuwood et donc je n’ai jamais rien appris de l’amour véritable qui se construit année après année avec un homme normal, ouais, pas romantique en fait, un homme du monde réel, quoi ! Mais voilà je me suis noyée, comme tant d’autres, dans le miel trafiqué à forte teneur en sucre industriel et 0% de ce que les bei-beilles butinent, pensant qu’un jour ma vie pourrait ressembler à ça !
Of course, un gars qui grimpe à l’échelle d’un immeuble en brique de Brooklyn avec des fleurs sous le bras ou dans la bouche, ça court les rues ! Ou bien le type genre Duc made in Hugh Jackman qui débarque du XIXe siècle pour griller des tartines sur votre plateau petit déjeuner tout préparé et se lever quand vous quittez la pièce, j’y crois, à force de me mordre les lèvres, il va bien tomber d’une faille spatiotemporelle ! Tout est réglé en 1h40 de film, alors vous finissez par vous dire que sur une moyenne de dix ans, il y a bien un homme romantique qui va vous proposer quelque chose, non ? Sauf qu’il y a le type respectueux, travailleur, responsable et timide qui travaille dans le même bureau que vous, mais qui n’a aucune chance, et ouais, pas assez beau, pas assez entreprenant, le best friend à vie et encore !
S’il ne s’agissait que de scénarios bas de gamme et irréalistes, passons, mais il y a les dix bonnes minutes où le romantique dévore les joues de l’ingénue, la nuit où elle abandonne toute retenue et hop, c’est une maîtresse ! Rassurez-vous, all is right, il y aura une petite dispute, mais ils finiront par se rabibocher et peut-être songer à un enfant ou deux, enfin, quand ils auront épuisé la case « amusements et voyages haut de gamme », la case « chien de compagnie ou mini bébé » et désireront un mini-moi pour leur survivre.
Nous, les femmes du XXIe siècle, nous sommes perdues à force de mensonges commercialisés, de cures de jouvence, de quêtes effrénées de ce qui fait vibrer, de gars d’une nuit, de surconsommation du corps. Nous nous sommes perdues dans les vaines promesses et dans l’oppression des faibles hommes qui se déguisent en champions du romantisme pour nous appâter, avant de consommer notre corps, le temple de la vie, et de nous larguer avec d’autres vies minuscules qui n’ont rien demandé de tout ça, qui n’ont pas choisi d’être enfants de quinzaine, orphelins mais pas sur le papier, victimes de notre égoïsme légendaire.
Nous n’avons pas pensé, non, nous palpitions à l’appel du romantisme et des nuits torrides que le siècle de la libération et de l’avortement nous offrait sans caution. Nous avons voulu tâter un peu de cette vie d’amours libres autrefois réservée aux hommes. Nous avons appris la consommation et nous avons oublié peu à peu le miracle de la procréation. Quant à celles qui ont répondu tôt à l’appel de la vertu, de la fidélité et de la maternité, nous les avons reléguées au rang des « sans emplois », des rien du tout, des anti working women, des faibles…
C’est alors que les Cieux ont pleuré, longtemps et silencieusement, ils se sont penchés sur les berceaux vides, les lits du plaisir et les enfants apeurés dans le noir qui découvrent le nouvel appartement de Maman, le nouveau copain de Maman, le nouveau weekend chez Maman, la gorge serrée, ces enfants peuvent à peine respirer et ils se demandent pourquoi ils ne se sentent plus en sécurité nulle part, mais seuls, désespérément seuls…
Les Cieux ont pleuré, la Création a gémi et a voulu voiler sa face à tout jamais pour ne plus voir le monde des hommes se prostituer et se détruire, ces femmes et ces hommes qui devaient les gouverner et leur montrer la voie, désormais perdus, errants, solitaires, sans racines ni rameaux, habitant une douleur infinie et sombre.
J’appelle à une libération de la femme, non pas à une libération-mutation qui fait des femmes les hommes durs de demain, non, j’appelle à une libération du mensonge, des compromis, de l’exploitation du corps sous toutes ses formes, de la sexualité sans responsabilité, sans promesse, sans amour, sans vertu, du mépris et de l’anéantissement de l’homme si différent et si complémentaire.
Il n’est difficile d’être femme que le jour où l’on ne sait plus qui on est, qui on aime et ce en quoi on croit…
(psychologue dans la ville d’Herat en Afghanistan)
Assises dans notre canapé, en plein zapping, on tombe malencontreusement sur un reportage Arte qui parle de ces femmes mariées de force à treize ans, violées, agressées, battues, engrossées, insultées et cachées derrière la porte imprenable d’une habitation sans nom, dans un pays dont la première syllabe nous fait frissonner et on se précipite sur la télécommande pour basculer sur un autre programme, quelque chose de plus sucré, de plus funky. On pousse un soupir de soulagement et on pense toutes : « Heureusement, je suis née en France, en Europe, heureusement… ».
Puis, nous parcourons le journal Le Monde et apprenons que, sur une période d’une semaine, les signalements de violences conjugales ont augmenté de 30% depuis le début du confinement. En France ? Non jamais !
Je crois que le confinement peut révéler le meilleur comme le pire chez nous autres humains.
INTROSPECTION
Pour ceux qui, comme moi, aiment se prêter à l’introspection quotidienne, le confinement offre le temps, beaucoup de temps pour penser, faire le point et ne garder que ce qui a le plus d’importance dans la vie. Le bonheur est devenu quelque chose qu’on doit arracher aux lois et restrictions étouffantes qui dictent et uniformisent le quotidien de chacun. Alors, on n’a plus le temps de s’accrocher à des vieilles guéguerres, d’inutiles rancunes, des jalousies toxiques, bref tout ce qui dérobe les quelques instants parfaits qui oxygènent l’âme.
STAGNATION
À côté des amoureux de l’introspection, on trouve les « stagnants ». La crise ne les rend ni meilleurs ni pires, non, ils ne changent pas. Les stagnants ont une forte capacité de survie, car ils ne se posent pas trop de questions sur eux-mêmes, sur la suite, sur la vie. Ils poursuivent leur route comme elle a commencé avec le même flegmatisme légendaire. Ils sont capables d’avaler une quantité astronomique de séries et d’émissions en tous genres, histoire de faire passer le temps. Ils ne se lancent jamais dans des combats perdus d’avance, ils attendent, confiants dans leur bonne étoile que le ras de marée va prendre fin, demain, un jour, qui sait ?
VIOLENCE
Enfin, cohabitent avec les yogis et les stagnants, les « violents ». Ceux-là, personne n’aime en parler, on préfère les oublier, voire les nier. Les violents étaient considérés par les grands penseurs grecs comme la première et grande menace de la société. La catharsis n’a pas bien opéré sur eux. On a eu beau les coller au premier rang de l’orchestre et maintenir leur tête pour qu’ils gobent et expient leurs passions meurtrières à travers le déchaînement fou d’un Néron, d’une Hermione ou encore d’une Médée sur scène, rien n’y fait. Ils sont « possédés » par une colère originelle qui ne faiblit pas et ils détruisent tout sur leur passage.
LA VIOLENCE TUE PLUS VITE QUE LE VIRUS
Si je vous disais que la société a commencé à mourir bien avant l’arrivée du Covid, me croiriez-vous ?
Quand je constate qu’il existe bon nombre de pays où les femmes sont encore traitées comme des marchandises qu’on vend en mariage à des hommes odieux qui ont plus du double de leur âge ; que la violence physique et le viol sont monnaie courante dans les pays rongés par la guerre et la corruption ; qu’on frappe femmes et enfants sous l’effet de la drogue, de l’alcool, de la folie dans les nations dites « éclairées » ; qu’on vend le corps de la femme en marketing à consommer tout de suite et à volonté sur les chaînes TV, les réseaux et sites web ; qu’on prend note distraitement d’une plainte pour violence, abus et manipulation psychologiques déposée par une femme dite « névrosée » (c’est tellement plus commode), je me demande quand on donnera un nom et un vaccin à ce fléau.
Aujourd’hui, permettez-moi de dire que ce fléau à un nom : c’est la Mort, la mort de l’humanité programmée dans nos sociétés si friandes de statistiques. Quand on accepte la violence comme une nouvelle forme d’amour passionnel dans les films et séries à la mode, quand le bourreau devient un héros, quand la violence est le moteur de l’entreprise du jeu vidéo, quand les enfants naissent dans des foyers explosés, vides et toxiques, quand les femmes courent sans réfléchir pour devenir des « gros durs », quand on exploite son corps et celui de l’autre comme une pure machine du désir, quand le caprice est devenu l’éthique et l’écran la seule relation humaine, je ne m’étonne plus que l’humain soit en voie d’extinction.
Oh ! Je sais bien, on va me rire au nez ou pire me détester et m’insulter (toujours très courageux les commentaires orduriers anonymes) pour ces propos alarmistes. Et si le virus qui ravage la planète n’était qu’une manifestation extérieure d’une société malade et pourrie de l’intérieur ?
LA LOI DU SILENCE
Chères amies, rien ne vous oblige à suivre le schéma destructeur que le monde vous tend comme la seule voie « à la mode » ! Personne ne vous tient écrasées sous la coupole d’un homme violent et foncièrement faible, si ce n’est votre peur d’être seules, votre peur de parler, votre peur d’exister. Personne ne peut être votre meilleure amie à part vous-mêmes.
Imaginez un court instant que vous vous regardiez à distance. Observez cette femme immobile et muette sous les paroles tranchantes et destructrices d’un connard, un vrai. N’auriez-vous pas envie de vous précipiter pour arracher cette femme aux griffes de ce minable pervers ? Vous feriez tout pour trouver à cette femme un travail, un logement, un psychologue, un avocat, un parent.
Cette femme, c’est vous et cet ami providentiel, c’est également vous. Vous seules pouvaient décider de dire « Non ! », « Ça suffit », puis de partir pour de bon, sans jeter un regard en arrière. Je sais combien notre société est lente et dysfonctionnelle pour ce qui est de protéger l’humain des maltraitances physiques et psychologiques. La loi du silence est partout de mise.
L’AMOUR DE L’UNIVERS
Mais je connais également cette grande vérité :
« Quand tu veux quelque chose, tout l’Univers conspire à te permettre de réaliser ton désir. »
Paulo Coelho,L’Alchimiste (1988)
L’univers peut bien s’être réduit à votre pupille noire, si noire, brouillée de larmes aigres et chaudes, rien n’est encore perdu. Lui qui a promis qu’Il « essuiera toutes larmes de leurs yeux, et la mort ne sera plus ; et il n’y aura plus ni deuil, ni cri, ni travail ; car les premières choses sont passées » (Apocalypse 21 : 4) conspirera à votre délivrance…
Mon roman parle de vous et pour vous. Quand bien même vous ne pourriez plus briser votre miroir de désolation, relever votre corps ramassé sur le tapis d’une salle de bain sordide, dire « assez ! » et partir, je serais là tout près de vous, à vous répéter que vous êtes tellement plus que ce que vous croyez être aujourd’hui, que vous n’êtes pas seules, non jamais.
« Pourtant, elle continue de l’attendre, affamée de son amour qu’il reporte indéfiniment au lendemain.
Il dit qu’elle l’a trahi en parlant de l’argent à ses parents, il dit qu’il ne veut plus rien d’elle, il dit qu’elle n’est qu’une enfant. Il l’a dit une fois par la bouche et il le respire continuellement par les yeux. Elle est méprisable, elle n’est rien tant qu’il n’a pas décidé qu’elle est assez punie. Il la punit par ses silences, il l’ignore, il s’enferme dans sa chambre pendant des heures jusqu’à ce qu’elle comprenne la leçon. Et cela dure depuis des jours. »
Il est temps d’affirmer que le dicton pseudo-amoureux « Je t’aime un peu, pas du tout, à la folie » n’est qu’un odieux mensonge. Nous femmes croyons longtemps et à tort que le seul amour qui existe soit celui de l’homme dit « providentiel », celui qu’il daigne nous donner entre deux contrariétés, entre deux mots et gestes violents et nous restons là pendues à ses oscillations émotionnelles. La maltraitance fonctionne tant qu’elle fait vibrer la mélodie plaintive de nos cordes intérieures : c’est un air vaguement familier, une rengaine qui nous assourdit depuis l’enfance et qui a enveloppé notre cœur d’épaisses ténèbres.
Pourquoi cela nous arrive-t-il à nous ? Qu’est-ce qu’on a bien pu faire pour mériter ça, hein ? Rien du tout. C’est ce monde malade qui a produit des bourreaux incurables qui ont reniflé notre désespoir pour y planter leurs crocs empoisonnés. Au début, le bourreau dit nous aimer à la folie, puis un peu moins et parfois pas du tout. Pourquoi ? Qu’est-ce qu’on a fait ? Rien. C’est lui qui n’aime rien d’autre que lui-même. Éternellement vide, il s’est branché sur notre cœur déjà bien abîmé pour pomper, pomper le sang, l’oxygène, la vie… Plus il se sent fort, plus nous mourons. Oui c’est bien cela la maltraitance et moi, je l’ai en horreur !
Cependant, je suis lucide ; aujourd’hui, je n’ai aucun pouvoir pour vous libérer de votre prison domestique. Vous seules détenez les clefs. Je sais que ça sera difficile, je ne vais pas vous mentir, vous allez encore et beaucoup pleurer, mais demain le soleil brillera de nouveau.
Un soir, il y a quelques années, allongée dans l’herbe humide, je me suis perdue dans un ciel étoilé et j’ai prié pour ma délivrance, pour la vôtre, pour celle de toutes les femmes. J’ai découvert l’Amour de l’Univers dont parle Paulo Coelho : cet Amour crée, donne, guérit, sauve. C’est le premier amour à rechercher avant celui de tout homme imparfait. Seul cet Amour ramène à la vie un cœur brisé et mourant.
« Donne-moi un cœur nouveau, un cœur tendre, un cœur de femme… »
N’est-ce pas ce que la Samaritaine, Marthe et sa sœur Marie, Marie de Magdala, la femme adultère, la femme affligée d’une perte de sang et toutes les autres ont demandé au Christ quand elles sont allées à sa rencontre ? Il les a toutes guéries, aimées et sauvées. Il fera de même pour vous.
Laissez-moi glisser sous la porte de votre habitation sans nom mon espoir, mon roman, pour que vous teniez un jour de plus, puis encore un autre, avant de retrouver l’air chaud et parfumé de l’été, libres, sous un ciel étoilé ou au bord d’une plage désertée.
Ou quand la Caverne confortable est devenue une Prison blindée
On tient un bon titre pour lancer une allégorie de la condition humaine : Le Vieil Homme et la Mer disait Ernest Hemingway, aujourd’hui, je dirais plutôt L’Homme et la Caverne, et dans quelques semaines : Le Vieil Homme et la Caverne. De quoi s’agit-il ?
C’est une épopée très XXIe siècle : l’Homme habite sa caverne ou sa solitude par désir d’absolu, et surtout de silence… Non il ne se jette plus à la poursuite d’un monstre des mers de l’Ancien Monde pour remplir son estomac affamé ; non il ne choisit plus le Grand Bleu comme compagne fidèle et confidente de ses tourments ; non il n’est plus dans une barque mais une caverne ; non il ne chasse plus le mammifère marin mais bien la femme.
Vous l’aurez compris, l’Homme avec un grand H ce sont les hommes éternellement sur les sites de rencontre(s), mais éternellement célibataires, éternellement aux études, éternellement en formation, éternellement en CDD, éternellement instables, éternellement seuls… Eh oui, le mot est vif, ça fait mal, mais j’ai promis de ne dire que la vérité, toute la vérité et encore la vérité.
LE RETOUR À LA CAVERNE
Pour faire simple, je les appelle les Hommes des Cavernes, car ce sont ceux qui ont choisi délibérément de retourner à leurs chaînes après avoir été éclairés par le Savoir, l’Intelligence (du moins on l’espère), la Sagesse (la… quoi?), la Sociabilité présents à la surface. C’est théorique, parce que certains n’ont pas toujours la chance d’être bien et assez longtemps « éclairés ». Mais passons. Platon n’avait pas vu les hommes du XXIe siècle venir. Comment aurait-il pu imaginer qu’une armée de geeks (nouvelle dénomination pour « gnomes », oui, c’est plus smart) élaboreraient des cavités, des tunnels, des fourmilières bien solides et bien connectées pour fuir la lumière aveuglante du monde réel ?
La Renaissance et l’Humanisme ont éclairé et changé l’humanité et pourtant, nos petits bonshommes se sentent plus à leur aise dans les ténèbres des entrailles de la Terre, avec pour seule lumière, non plus le feu des premiers hommes (les plats préparés réchauffés, ça va quand même plus vite que la chasse et la pêche), mais l’écran tactile de ces engins électroniques.
confinÉ dans la caverne
Cependant, le confinement a bouleversé tous les paramètres de cette vie recluse bien huilée. L’Homme de la Caverne ne peut plus remonter à la surface quand la batterie du portable est déchargée, quand les désirs du corps se font sentir, quand il faut aller travailler (de temps en temps), quand un besoin fou de voyager solo lui prend, et ainsi de suite…
Il est bel et bien enchaîné à son trou infâme et glauque pour une durée indéterminée et tout à coup, l’Homme de la Caverne ne trouve plus son insouciance passée drôle, mais alors plus drôle du tout. Après avoir écoulé toutes les séries Netflix possibles (de préférence, les plus abrutissantes pour éviter de penser), l’Homme de la Caverne donnerait tout ce qu’il possède (ou possèdera, parce que là, tout de suite, il n’a pas grand chose) pour devenir le pêcheur d’Hemingway et partir ainsi à l’aventure sur les mers chaudes et froides, bref mourir avec panache et non pas en mode loqueteux.
L’Homme de la Caverne commence à tout jeter contre les parois humides de la grotte, il crie, il hurle, il pleure et il finit par comprendre que oui, enfin, c’est pas trop tôt la lucidité, il est SEUL, complètement seul et peut-être pour toujours (du moins pour les quatre, cinq, six… bon bon j’arrête… semaines).
Deux options se présentent à lui :
1)S’écorcher la main et repeindre son ballon de foot en Wilson (ben ouais, s’il a sauvé Tom Hanks de la folie et de la noyade, encore que… il devrait le sauver de la dépression
2)Éveiller Aurora de son hibernation, car quitte à pourrir dans la Caverne, mieux vaut pourrir à deux (c’est très charitable ça, hein ? Normal, c’est un homme, oups que je suis méchante!)
Qui est Aurora ? Vous ne connaissez pas ? Petite vidéo explicative ci-dessous.
Avant ça, « résumé » : alors, voilà, Jim Preston est réveillé 80 ou 90 ans trop tôt de son hibernation spatiale dû à un dysfonctionnement du vaisseau. Il fait voile avec d’autres terriens bien endormis, eux, vers une nouvelle planète-test, mais découvre avec horreur que maintenant qu’il ne peut plus faire « rompiche » dans sa capsule, il ne verra pas grand chose de cette nouvelle vie interstellaire. Il tient un an et trois mois (il est fort le gars) tout seul, il dort, il mange, il déprime, il dort, il… bon vous l’aurez compris. Et alors qu’il est à deux doigts de mettre fin à ses jours, il tombe sur le visage endormi d’Aurora, une femme brillante, belle… bref, la femme de ses rêves et déclic ! Il lutte contre lui-même, mais n’y tenant plus, il la sort de son hibernation et la condamne ainsi à vivre et à mourir avec lui au milieu de la galaxie.
CRISE SENTIMENTALE
Vous pensez que je délire avec mon allusion au film Passengers, n’est-ce pas ?
Eh bien non. Absolument pas. Plus les semaines passent, plus mes connaissances et amis hommes sont au comble du désespoir dans leur caverne, oups ! studio. Ils n’en peuvent plus. Leur grand rêve de liberté infinie, leur conception du mariage comme une prison dorée, leur égoïsme endémique, plus rien ne tient ! Ils sont prêts à réveiller/épousailler n’importe quelle fille demain, si seulement en bas du contrat de mariage est inscrite, en tout petits caractères, la mention :
« s’engage à descendre dans la Caverne pour une durée indéterminée et ce pour tous les confinements jusqu’à la fin des temps… »
Ça fait peur, hein ?
Le confinement nous embellit Mesdames. Je ne sais pas vous, mais moi, je suis passée de la nana trop intellectuelle, sur-qualifiée, trop passionnée, trop « bien » (ah cet adjectif-là, je me le suis tartiné des décennies et je n’ai jamais osé répondre au gus « c’est probablement parce que tu es trop… faible, nase… oui, enfin t’as compris l’idée) à la plus belle, délicieuse, douce des femmes.
L’Homme de la Caverne, il vaseline, il vaseline. J’ai ma théorie là-dessus : je le soupçonne d’avoir fait une liste d’adjectifs passe-partout sur les murs de sa Caverne et tandis qu’il tapote son Iphone, il choisit, il varie, il reprend, essayant, tant bien que mal, d’être le plus crédible possible. Le geek a passé une formation accélérée de « je parle comme Cyrano », cependant, il a oublié qu’on n’apprend pas tout sur le Net et donc, quand la fille lui demande « Brodez, brodez… », ça finit en mode « Christian panique », c’est-à-dire :
Après avoir tenté de nous prendre pour des sottes, l’Homme de la Caverne commence à comprendre que la femme, cette créature mystérieuse, capricieuse, insaisissable qui reste pour lui, sans nul doute, le plus grand mystère de l’Univers, a besoin d’autre chose que des compliments mielleux (mon dernier en date est « Hello, gorgeous », le type, on se connaît à peine et hop ! je suis déjà « gorgeous », rien que ça ! Rappel : ne jamais commencer par le compliment le plus fort, ce qui suit ne peut être que fade, récité et désamour).
Donc sa dernière stratégie consiste à réveiller l’instinct maternel de la femme. Logique, il ne peut pas l’épater par un bon resto, un bon ciné, un bon apéro, tout ça faut mettre un trait dessus avec la distanciation sociale. Alors, il choisit de parler de ses gros malheurs, pour qu’elle compatisse avant d’être tentée de le dorloter.
« Je suis seul, je suis triste, je suis enfermé, je ne suis pas encore malade, mais qui sait ? »
Arrêt sur image. L’Homme de la Caverne, il joue à quoi là ? Il m’a prise pour Florence Nightingale ? Il croit sérieusement que j’ai envie de le consoler et de le moucher avec de le border pour une bonne nuit de sommeil ? Non, parce qu’il me dit ça à 00h02. Moi, j’ai cru qu’il était un peu plus malin que les autres. Je lui rappelle gentiment que c’est Cyrano qui console et parle d’âme à âme à Roxane sous sa fenêtre et pas l’inverse !
Vous me direz, c’est mon problème… Je suis un peu comme Bathsheba Everdene dans Far From The Madding Crowd :
« I’ve grown accustomed to being on my own. Some say even too accustomed. Too independent. »
Qu’en est-il de la Caverne ? Navrée, mais j’ai déjà mon propre piano, comme aurait répondu n’importe quelle femme du XIXe siècle et mon appartement, comme répondrait n’importe quelle femme du XXIe siècle. On imagine toujours que le vrai amour entre un homme et une femme, ce n’est ni le manque, ni le besoin égoïste, ni la peur de la solitude, ni le mimétisme social. Peut-être faudrait-il que l’Homme de la Caverne commence à se respecter et à s’aimer avant de pouvoir aimer vraiment et pour longtemps. Probable que c’est vieux jeu, idéaliste, dépassé tout ça, probable, mais moi j’y crois et si je considère ce monde usé et malade dans lequel on vit, la consommation de l’autre et de tout n’a pas vraiment réussi ni aux semblants de « familles » ni à la Terre qui se sent maltraitée et déjà condamnée.
Je me prends à rêver que le confinement va produire l’Homme nouveau, celui qui renaît de ses cendres originelles. Je rêve, c’est insensé, je ferme les yeux, et si c’était vrai ?
Eh oui, lundi 16 mars, le président Macron l’a bien dit :
« En restant chez vous, occupez-vous des proches qui sont dans votre appartement, dans votre maison. Donnez des nouvelles, prenez des nouvelles. Lisez, retrouvez aussi ce sens de l’essentiel. Je pense que c’est important dans les moments que nous vivons. La culture, l’éducation, le sens des choses est important. »
I. « RESTEZ CHEZ VOUS ! »
Bon, qu’en est-il sur le terrain ? Parce qu’il est probable que la guerre soit, d’abord, déclarée dans les foyers avant même qu’ils ne soient contaminés par le Covid-19. Nos chères Working Girls, les Wonder Women du 70e étage d’un building du quartier de la Défense, ont repris le chemin non pas de l’école, mais de la maison, encore que…
En 2019, c’était encore possible de réchauffer à la va-vite les plats surgelés, les dictées préparées et les histoires du coucher. Mais en 2020, il va falloir se renouveler Mesdames…
Car vous avez devant vous, non plus vos chers bambins qui avaient tout dépensé dans la cour de récréation, tout explosé devant les professeurs désarmés et tout donné dans les chorégraphies fantaisistes du professeur d’éducation physique qui s’improvise, à l’occasion, Kamel Ouali du collège ou « comment trouver un sens au dépliage de tapis puants dans le gymnase »… non, vous n’avez plus une progéniture bien rincée et à moitié docile, mais une famille de gremlins surentraînés qui vont tout détruire chez vous !
Malheureusement, cette fois-ci, aucune issue pour les Working Girls qui perdent à la fois leur bureau de PDG et leur liberté grâce au confinement à durée indéterminée… Eh oui ! ça rassure « indéterminé » quand il s’agit du boulot dans une grosse boîte, mais ça fait carrément peur quand il s’agit de vivre H24 avec sa portée !
II. « OCCUPEZ-VOUS DES PROCHES »
Ah ! Les bons petits croissants sortant du four à 9h, prêts à fondre sous la dent dure des adolescents d’exception ! Oubliez ! Maman n’a pas une formation de pâtissière, c’est une femme d’affaire qui vend à profit et achète à perte, d’où les vingt paquets de cornflakes entassés dans le garage, achetés via le Drive, formule : 2+1 gratuit.
Les quarante-cinq jours d’entraînement, oups ! de confinement vont être très très longs, surtout si tous les repas sont lyophilisés ! Finalement, les gars, c’était pas si mal la cantine, hein ?
III. « PRENEZ DES NOUVELLES »
Super Maman-Working Girl est douée pour mener un entretien d’embauche, de carrière, de licenciement. Alors voilà, pendant 45 jours (ou plus), il va bien falloir communiquer avec super enfants-millenials !
Super Maman-Working Girl panique de ouf, car elle n’a jamais fait ça, jamais, jamais. Les quelques heures qu’elle passe, enfin passait, avec ses Millenials en rentrant du boulot sont, plutôt étaient, bien cadrées et productives, normalement, mais ça, eh bien, c’était avant…
Super Maman-Working Girl arrive autant à faire plier une armée d’hommes ravalant leur pulsion de chef, ou testostérone, dans la salle de réunion du 70e étage, à la Défense, qu’elle est, il faut bien le dire, désarmée face à trois adolescents irascibles qui
1)n’ont jamais appris à communiquer avec elle,
2)n’ont aucune envie de communiquer avec elle,
3)n’ont pas le temps de communiquer avec elle tant leur vie sociale virtuelle est prenante.
Super Maman-Working Girl a remis le tablier, mais… il lui reste un long chemin à parcourir ! Elle s’apprête à déclarer la guerre à tous les engins connectés qui étaient bien utiles autrefois, (« autrefois », c’est si vieux que ça ma vie « active » ?) pour
1)acheter la paix sociale,
2)racheter ce temps qu’elle ne leur donnait pas,
3)les occuper sans trop d’efforts.
Eh oui ! Super Maman-Working Girl va bien vite regretter tout cet argent durement gagné et dilapidé pour les caprices high-tech de ses bambinos… Chaque Iphone est un écran de plus, dans tous les sens du terme, mis entre elle et la chair de sa chair. Maman payait, mais n’éduquait pas vraiment. Maman aurait dû dire que tout n’est pas vrai, tout n’est pas bon sur le Net et surtout que rien ne remplace une vraie relation faite de sourires, de mots et de câlins… Maman aurait dû, mais elle n’avait pas le temps, elle l’a laissé filer, elle les a laissé grandir et aujourd’hui ce ne sont pas 45 jours en famille, mais 45 jours avec des étrangers…
IV. « LISEZ, RETROUVEZ, ÉDUQUEZ »
Tout un programme, hein ?
Super Maman-Working Girl maîtrise les courbes de la Bourse, les tableaux Excel, les vidéo-conférences, mais jamais au grand jamais elle n’a été préparée à l’école virtuelle, l’école du future, quoi ! La voilà pénétrant à pas feutrés sur l’interface moderne et fonctionnelle, (je vous l’assure, ce n’est pas moi qui le dis, mais Monsieur le Ministre de l’Éducation), j’ai nommé l’ENT, Pronote, Néo, Folios, Scratch-scratch ou plutôt Plouf-Plouf (pour être honnête)…
Super Maman-Working Girl écarquille les yeux pour bien tout saisir :
« OK, concentre-toi, ma vieille. Aujourd’hui et tous les autres jours jusqu’à… (non, non, n’y pense pas !) tes enfants surdoués vont devoir se connecter sur… quoi, déjà ? Pro…pro…pro…note ??? Et elles sont où les notes ? Et ce sont qui eux qui te donnent du travail déjà ? Ah oui ! Les profs ! »
Voilà, on y est, Maman les maudissaient quand elle était à l’école, puis elle les a maudits à chaque mauvaise note, écart de conduite de ses petits anges et maintenant, maintenant, elle les… (non, elle ne le dira pas)… parce qu’il faudrait enfin qu’elle fasse leur boulot ?
Super Maman-Working Girl a oublié que la grande institution qui accueille cinq jours sur sept, dix heures pas jour ses super enfants-millenials mal dégrossis a été rebaptisée « éducation » pour pallier à celle qu’elle et tant d’autres parents ont oublié, négligemment, en passant, de donner à leur progéniture. Monsieur le Président l’a rappelé : « la culture, l’éducation… », retour à l’envoyeur, à la vie communautaire, aux bons vieux devoirs devenus leçons, à la carotte et au bâton pour certains, bref on forme en 45 jours les parents comme jamais auparavant.
Cependant, Super Maman-Working Girl ne voit pas du tout, mais alors pas du tout, ça comme une formation ou une promotion. C’est un véritable calvaire ! Elle ne retrouve pas ses codes de connexion qu’elle a, sans le vouloir, mis à la corbeille début septembre. Elle accuse tout le monde :
1)les enseignants,
2)laDirection,
3)les lutins de la forêt,
4)ses enfants (oui… peut-être…),
5)elle, vraiment, elle ??
Comme ses trois Millenials se contrefichent de ses avertissements, Super Maman-Working Girl finit par passer ses journées, courbée sur la table de cuisine, à écosser les haricots, repriser les chaussettes, remplir les QCM et répondre à ses professeurs. Guidée par l’infaillible précepte « on n’est jamais mieux servi que par soi-même », Super Maman-Working Girl s’est remise aux devoirs, littéralement, elle fait les devoirs à la place de…
Alors quand son professeur, qu’elle traite, en secret, de tous les noms, lui colle un « non noté » pour son devoir maison sur « la Guerre froide », Super Maman-Working Girl-élève explose de rage ! Le masque ne tient plus, elle déchire le tablier et redevient en un coup de baguette magique Mme la PDG du 70e étage, quartier : La Défense. Elle congédie cet importun qui met à la poubelle deux heures de travail assidu, elle lui demande de « revoir sa position », elle le menace de licenciement par « j’en parlerai à la Direction », elle rappelle, avant d’oublier, le sérieux de son adolescent qui a passé beaucoup de temps sur Fortnite, oups ! la Guerre froide… Elle finit par le maudire, car tout est de sa faute : le virus, le confinement, l’enfer à la maison, la paresse légendaire de ses enfants, les chaussettes trouées, les haricots mal cuits, tout, tout, tout… Car oui, elle en est sûre : ce sont les enseignants qui ont tout bricolé. Avec leurs salaires de ministres, ils ont payé les Chinois, créé la bestiole en laboratoire, contaminé l’humanité pour quoi ? Plus de vacances !!!
Super Maman-Working Girl étouffe de rage. Elle ouvre grand la fenêtre de la cuisine, respire à plein poumons et elle se rappelle :
« CONFINEMENT – JOUR 3 »
Telle une bête traquée et enchaînée à une clôture, elle hurle un long et plaintif : « NONNNNNNNNN !!! ».
La guerre au bercail a commencé et on ne sait pas quand ça va s’arrêter…
C’est bien ce qu’on appelle « le sens de l’essentiel », « le sens des choses », n’est-ce pas Monsieur le Président ?
I know what they would say, all the old-timers at this Ashram. They would say this is perfectly normal, that everyone goes through this, that intense meditation brings everything up, that you’re just clearing out all your residual demons… but I’m in such an emotional state I can’t stand it and I don’t want to hear anyone’s hippie theories. I recognize that everything is coming up, thank you very much. Like vomit it’s coming up.
Somehow I manage to fall asleep again, lucky me, and I have another dream. No snakes this time, but a rangy, evil dog who chases me and says, « I will kill you. I will kill you and eat you ! »
I wake up crying and shaking. I don’t want to disturb my roommates, so I go hide in the bathroom. The bathroom, always the bathroom ! Heaven help me, but there I am in a bathroom again, in the middle of the night again, weeping my heart out on the floor in loneliness. Oh, cold world – I have grown so weary of and all your horrible bathrooms.
When the crying doesn’t stop, I go get myself a notebook and a pen (last refuge of a scoundrel) and I sit once more beside the toilet. I open to a blank page and scrawl my now-familiar plea of desperation :
« I NEED YOUR HELP. »
Then a long exhale of relief comes as, in my own handwriting, my own constant friend (who is it ?) commences loyally to my own rescue :
« I’m right here. It’s OK. I love you. I will never leave you… »
Elizabeth Gilbert, Eat, Pray, Love (2006)
« BATHROOM SERIES »
Vous connaissez vous aussi ces épisodes larmoyants que je nommerai désormais les bathroom series. J’avoue que je ne comprends pas non plus pourquoi ces lieux étriqués deviennent l’habitacle de nos drames intimes, le déversoir de nos passions incontrôlables et le refuge de notre âme qui menace de s’enfuir dans les ténèbres.
On représente Judy Garland allongée sur le sol, aux pieds de la baignoire, sanglotant après un show raté à Londres dans son biopic Judy récemment sorti au cinéma. Son homme du moment, Mickey Deans, la sermonne derrière la porte, mais elle n’entend qu’un vague murmure, car ses oreilles bourdonnent de sa douleur qui l’étouffe depuis des années.
Nous connaissons toutes nos heures sombres. Nulle n’est épargnée. Je pense que lorsque les murs invisibles de notre vie semblent s’effrondrer, nous cherchons refuge dans un lieu plus étroit que nous pouvons appréhender, alors même que tout le reste nous échappe. La salle de bain est le sanctuaire de l’intime, ce que nous ne montrons à personne et qui, éclairé à la lumière tranchante tombant du miroir, ne peut être ni nié ni caché.
« I NEED YOUR HELP »
Cette supplication de Liz Gilbert m’est tout à fait familière. C’est une réalité partagée par toutes celles qui acceptent la fin de quelque chose et le début de l’inconnu. Cette zone intermédiaire qui rapproche deux univers si étrangers, l’Avant et l’Après, je l’appelle : « la zone du deuil ».
Je suis tellement frustrée que cette période enveloppée dans les voiles sombres de la veuve soit si mal définie et comprise. Il faut que vous perdiez l’homme de votre vie, un parent, un enfant, que sais-je encore, pour qu’on vous accorde le statut de « veuve ».
Autrefois, les veuves étaient des marginales : celles à qui il manque quelque chose, celles qui ne sont plus tout à fait entières, les femmes émotionnellement et matériellement amputées, les inclassables. Alors, pour ne pas être totalement mises au ban de la société, les veuves faisaient vœu de porter le noir pendant des mois, une année, des années, toute une vie…
Le noir qui teignait leurs robes, leurs chapeaux et leurs voiles accentuait la blancheur diaphane de leur visage : elles étaient l’incarnation de la douleur et le rappel que la mort menace tout être humain. Mais c’est également le noir qui protégeait les veuves des moqueries et insultes habituelles. Souvent, elles perdaient presque tout leur confort matériel, mais il leur restait la dignité.
J’en déduis qu’être veuve, c’est perdre quelqu’un pour toujours, et donc, nécessairement, perdre sa vie d’avant pour entrer dans une zone floue qui n’existe pas dans nos sociétés bien huilées. On se définit toujours par ce qu’on fait, ce qu’on possède, où et avec qui l’on vit. On peut ainsi se définir autant par l’abondance que par la perte.
Mais qu’en est-il de nous autres qui nous définissons autrement ? Celles qui se définissent par ce qu’elles sont et ne sont plus ? « I need your help », je ne sais plus qui je suis, ni même ce que je veux, je ne sais plus, avant je croyais savoir, mais c’est fini, commence mon deuil…
L’ART DE PERDRE
Peu d’individus acceptent ce dépouillement existentiel. Ils se réconfortent et calment leurs angoisses en tapotant les murs de leur nouvelle maison, la carrosserie brillante de leur voiture et l’épaule de leur enfant. Ils ont, donc ils sont… Ils ne sont pas voués au néant parce qu’ils se sont matérialisés dans ce qu’ils croient leur appartenir.
La vérité est que nous ne possédons rien sur cette terre, pas même nous-mêmes. Nous voyageons année après année, mais rien ne nous appartient. Nous empruntons une maison, une voiture, l’amour d’un enfant sorti de nous, mais tout cela appartient à la Vie, à la Création, tout comme nous-mêmes.
Pratiquons enfin « l’art de perdre » dont parle Alice Howland atteinte d’Alzheimer précoce (Still Alice, 2015) : elle qui ne peut rien garder dans l’avenir de son passé, ne peut rien vivre d’autre que le présent et dans ce présent où vit sa conscience fugace, elle fait déjà le deuil de ce qu’elle oubliera fatalement.
Si nous perdions quelqu’un, ce serait plus facile pour les autres de reconnaître notre douleur. Mais tant que nous ne portons pas l’épais voile du deuil, rien n’a changé pour eux. Alors nous sommes seules à savoir que nous sommes temporairement amputées de quelqu’un qui a beaucoup compté, d’un homme qui était la jauge et le contrepoids de nous-mêmes.
Il est parti, nous l’avons abandonné au passé, cependant, il n’est pas mort, donc nous ne sommes pas en deuil. Ces circonstances sont probablement les deuils les plus douloureux que nous puissions connaître. Difficile de lutter contre le souvenir d’un vivant !
« CLEARING OUT »
La langue anglaise a le génie d’ajouter après les verbes ces prépositions kinesthésiques quasiment intraduisibles : « to clear out ». Le travail de deuil consiste à sortir et jeter hors de soi, donc « to clear out » ou extirper, nos vieux démons bien enracinés.
Nous avons besoin, comme le rappelle ce bon Richard from Texas à Liz Gilbert, de rencontrer certaines personnes avec qui nous vivons tout un tas d’expériences pour secouer ici et là nos bons vieux démons endormis avant de les faire sortir pour de bon.
Il y a cet homme, en particulier, qui est notre miroir grossissant, celui qui titille nos démons blessés jusqu’à les faire rugir. Ça y est ! Il les a libérés, nos Titans enchaînés dans les enfers d’Hadès sont bel et bien remontés à la surface, plus rapidement qu’Orphée, et ils vont tout ravager !
Si cet homme est notre catalyseur, il n’est pas destiné à rester à nos côtés, non, nos Titans en colère vont bien vite le chasser. Mais voilà, notre homme a tout réveillé et aucune marche arrière n’est possible. On se retrouve à vomir nos démons sur le tapis de la salle de bain, seules, la nuit…
DOUBLE DEUIL
Le deuil a commencé et mon cœur est lourd et froid comme une tombe. Comme Liz Gilbert, je n’ai pas compris ce qu’il m’arrivait et pourquoi à moi et pas aux autres. J’avais la gorge continuellement serrée et je m’obstinais à garder le front haut comme les veuves d’autrefois.
On nous apprend que la souffrance doit être combattue par la volonté, que pleurer et s’écouter est une faiblesse et qu’enfin, on doit tous jouer à « comme si de rien n’était » sans broncher. Pas étonnant qu’on finisse sept nuits par semaine penchées sur la baignoire, attendant une réponse et priant pour attraper au vol une lueur d’espoir.
-Your problem is, you just can’t let this one go. It’s over. […] You’re like a dog at the dump, baby – you’re just lickin’ at an empty tin can, trying to get more nutrition out of it. And if you’re not careful, that can’s gonna get stuck on your snout forever and make your life miserable. So drop it. [Richard from Texas]
-But I love him. [Liz]
-So love him.
-But I miss him.
-So miss him. Send him some love and light every time you think about him, and then drop it.
Elizabeth Gilbert, Eat, Pray, Love (2006)
Aujourd’hui, je vois le deuil comme une chance unique de découvrir la femme que nous sommes et ce que nous attendons réellement de la vie. Nous sommes si nombreuses à vivre des années et parfois toute une vie sur « pilote automatique », choisissant et aimant à partir de fausses croyances sur nous-mêmes et de blessures inavouées. Tout est alors biaisé, tout sonne faux et, le temps passant, rien ne nous rend heureuses.
Le deuil de l’homme qui nous a désertées par la mort, la lâcheté ou la violence, c’est avant tout le deuil de ce faux-self que nous avons collé à notre âme, comme la bride étouffe le cheval sauvage. Faire le deuil, c’est embrasser la solitude qui seule peut enfanter Dieu…
« I’M RIGHT HERE. IT’S OK. »
Vous avez probablement l’impression, comme moi, que personne n’a jamais considéré et même accepté de considérer votre deuil. On vous a trouvées « bizarres » dès les premiers signes de changement, « fermées » quand tout d’un coup on s’intéressait à votre douleur et « hostiles » quand on ne cessait de répéter que votre ex n’était qu’un pauvre nase et vous, par extension, bêtes et naïves de n’avoir rien vu (je l’accorde, c’est le silence pesant que je verbalise ainsi et qui suit inévitablement le « quel pauvre nul ton ex ! »).
À choisir, je vote pour l’indifférence plutôt que pour les constats étroits et stériles sur mon « homme d’avant ». Pourquoi rougir et ruminer une relation qui devait manifestement faire partie de votre plan de vie ? Plus longtemps vous laissez les autres vous rappeler ce qu’ils considèrent être vos « mauvais choix », plus lointaine sera la guérison du deuil.
Brandissez votre voile noir comme un drapeau de « cessez le feu » et faites taire pour de bon vos fâcheux ! Ils ne savent pas vous accorder de la compassion, c’est un fait, par conséquent, ils n’ont tout simplement rien à dire, aucune voix au chapitre.
Ne craignez pas d’être seules un temps, quelques années ; vous savez bien que le deuil peut être long pour certaines et que s’engager rapidement dans une nouvelle relation vous conduira au même type d’homme, au même mur, jusqu’à agrandir démesurément votre blessure. Le temps vient à bout de tout, m’a-t-on dit. Voilà une grande leçon à retenir.
If you clear out all that space in your mind that you’re using right now to obsess about this guy, you’ll have a vacuum there, an open spot – a doorway. And guess what the universe will do with that doorway ? It will rush in – God will rush in – and fill you with more love than you ever dreamed. So stop using David to block that door. LET IT GO. [Richard from Texas]
Elizabeth Gilbert, Eat, Pray, Love (2006)
J’ai une confession à faire : je suis carrément fan du fameux Richard from Texas. Quelle clairvoyance ! Quelle leçon de vie ! Ces pages m’ont changée et cette autobiographie initiatique de Liz Gilbert est en train de me changer. « Let it go », c’est bien ce que je me répète chaque matin, c’est la phrase-clef de tout deuil et de tout changement durable.
Lâchez prise, cessez de ruminer éternellement le passé qui a tendance à déformer votre histoire pour la rendre plus accablante ou séduisante selon votre humeur de la soirée, enterrez le souvenir de votre homme pour de bon et faites place à la Grâce.
Je suis reconnaissante que mon deuil ait ouvert une porte dont je ne soupçonnais pas l’existence. J’ai arraché les ronces ensorcelées à mains nues et je me suis moi-même réveillée d’un long sommeil. Il m’arrive de penser encore à lui, je ferme les yeux et suivant le conseil de Richard je lui envoie de l’amour et de la lumière avant de le laisser partir « for good ». Comme pour me remercier d’avoir fait la paix avec lui, l’Univers insuffle par ma porte (dégagée et toujours ouverte) tout l’amour que mon âme est capable de contenir et je souris, un grand et beau sourire à Dieu et à moi-même, il est rare que d’autres y prêtent attention, mais qu’importe.
« I am every woman, it’s all in me… » chantait Whitney Houston.
Dimanche 8 mars : WOMEN’S DAY ! Let’s go girls !!!
Je suis honorée de me tenir parmi la grande et belle assemblée des femmes à travers le monde et de répéter encore et encore que vous êtes merveilleuses, créatives, belles, uniques et tendres.
Quand j’observe la lutte des Suffragettes au début du siècle dernier, je note une vérité :
Les femmes sont capables d’unité et de fraternité à toute épreuve.
Plus elles sont malmenées, ignorées et rabaissées, plus elles se serrent les coudes et crient à la liberté. Nous qui avons été privées si longtemps de nom, d’identité propre, de respect et de voix, nous courons sans réfléchir au secours de ceux qui sont menacés, affaiblis et blessés.
J’ai comparé cette cohésion féminine presque tacite à celle des hommes qui se rassemblent pour défendre une quelconque cause. La fraternité et la tempérance sont si fragiles parmi les hommes ! Dès que l’opposition frappe, eux qui avaient autrefois prêté allégeance finissent pas se détourner du noble but au profit d’intérêts personnels. On montre les poings, on se brouille, on trahit et le rêve est anéanti.
La femme possède ce don inné de comprendre autrui, car elle est autant elle-même que les autres. Elle est une mère avant même d’enfanter par cette intuition admirable qui la pousse à « capter » les émotions et l’histoire des autres femmes et à les intégrer à son propre système émotionnel. L’espace de quelques instants, de quelques heures, la femme a « tout en elle » de sa voisine et c’est ainsi qu’elle peut lui donner des conseils, des larmes, de la compassion, bref de quoi rassasier son âme brisée.
Que serait le monde sans cette sensibilité féminine ?
Je la conçois comme un Sixième Sens à part entière, le cœur qui fait battre l’univers, tourner les cycles de la vie, éclore le nouvel humain et fonctionner Mère Nature…
Aujourd’hui, je célèbre ce Sixième Sens que le monde moderne est en train d’étouffer dans l’égalitarisme forcené et la confusion des genres. Je crains que nous femmes du XXIe siècle livrions le mauvais combat jusqu’à tuer ce Sixième Sens qui régule toute la Création depuis les origines. Que se passera-t-il ensuite ? Où irons vivre nos filles ?
I. À NOS FILLES
Je vous vois tous les jours, je travaille avec vous et pour vous et je crois en vous plus que jamais. Vous avez la chance de pouvoir développer votre intellect, vos dons et vos capacités au service de l’humanité. Cette formation est nécessaire pour que vous fassiez le tri dans les traditions de vos mères, gardiez ce qui est sain et bon pour votre vie de femme et délaissiez ce qui est dégradant, rabaissant et stérile.
Les « grands penseurs » d’aujourd’hui veulent vous faire croire que tout ce qui appartient au passé est périmé, obsolète et honteux. Ne les laissez pas vous forcer à couper les ponts avec vos mères ! Vous avez besoin et vos filles auront besoin de la sagesse des femmes du passé pour ne pas se perdre dans les pièges de la philosophie moderne.
On veut vous faire croire que le corps de la femme est tout pour l’homme et que rien d’autre ne compte. On vous insuffle la haine de vous-mêmes au moment où vous vous transformez en femmes ; on vous coupe de votre essence, la véritable fémininité dont vos mères avaient le secret.
Mes filles, n’acceptez pas de vous voir comme un objet de consommation et rien d’autre. Ne donnez pas votre corps pour être validées par les hommes. Ne vendez pas votre corps sur les réseaux sociaux. C’est un marché pervers qui vous détruira. Personne ne parle de cette prostitution moderne : la pédo-pornographie. Elle empoisonnera votre vie adulte lentement mais sûrement. Elle vous empêchera de connaître le grand amour.
Visez l’excellence, l’intelligence, la compétence. La véritable beauté, c’est celle qui façonne le corps de l’intérieur, telle une flamme continue qui irradie l’esprit, pénètre la chair et s’échappe par les yeux.
Audrey Hepburn l’a bien dit :
II. À NOS FEMMES
Vous vous êtes magistralement saisies de cette liberté chérie qu’on avait si longtemps refusée à vos mères et vous en avez fait du rêve, de la création, de la sécurité matérielle, de l’indépendance, de la force brute.
Tout le monde s’accorde à dire que vous étudiez longtemps et plus brillamment que vos frères. Vous savez très vite ce que vous voulez et ce que vous ne voulez pas et vous le dites haut et fort. On n’a jamais eu autant besoin de vos voix sincères et justes qui font avancer l’égalité et le respect de vos sœurs.
Votre intérieur est un havre de paix, car vous savez être organisées, efficaces, équilibrées. Vous avez les idées claires, le courage qui ne faiblit pas, l’élégance qui conduit la civilisation vers l’excellence et le dévouement qui vous dédouble et démultiplie à l’infini en psychologue, cuisinière, bricoleuse, femme d’affaire, voyageuse intrépide, éducatrice, infirmière, artiste, etc.
Prudence cependant ! Le monde moderne vous fait croire que la reconnaissance s’arrache à coup de biceps, de dureté et de testosterone. Vous avez fini par croire qu’il faut être un gros dur, un mec à part entière, un Iron Man sans faille, sans larme et sans peur pour être respectées et considérées. Vous avez tendance à prendre les commandes dans le boulot et dans le foyer et votre homme s’est enfui à toute jambe (sauf si c’est un faiblard qui compte sur votre côté « bonhomme » fort prononcé pour finir son éducation, voire lui donner la tété).
Certes, votre carrière bat son plein, mais votre vie amoureuse est un désastre amer et douloureux qui mouille vos oreillers en soie chaque nuit. On vous a convaincues que vous deviez garder le contrôle et les hommes à distance pour ne pas descendre sous le top 5 du classement « working-wonder women ». Les hommes forts et fiables ne peuvent rien pour vous et n’ont aucune place dans votre vie et vous n’y comprenez rien, surtout quand vous les voyez se tourner vers ces « autres » pommées, médiocres qui ne peuvent pas ouvrir un pot de confiture sans crier « Help ! ».
« Women, they have minds, and they have souls, as well as just hearts. And they’ve got ambition, and they’ve got talent, as well as just beauty. I’m so sick of people saying that love is just all a woman is fit for. I’m so sick of it ! But I’m so lonely ! »
Little Women (2019)
Ne cherchez pas à devenir un « bonhomme », un vrai ! Qui vous le demande ? Qui veut d’un mec égoïste, égocentrique et vulgaire en plus ? Personne. Votre course à la reconnaissance pourrait bien vous coûter votre Sixième Sens si précieux. Nous femmes avons besoin des hommes pour créer la vie et changer le monde et ils n’ont pas besoin de notre mépris et de nos exigences irraisonnables.
Si nous souhaitons retrouver un équilibre des genres dans notre société et sauver nos familles, commençons par cesser de nous travestir en ce que nous ne sommes pas, stoppons la guerre des sexes qui a trop souvent un goût de revanche et cessons de mesurer la réussite à la possession et à la domination au détriment de l’Être.
III. À NOS MÈRES
Vous avez tendance à vous taire par honte. Honte des choix courageux et désintéressés que vous avez faits et que la société a labellisés : « sans travail, sans statut, sans accomplissements ».
Vous pensez que votre temps est dépassé et que votre sagesse a un goût rance.
Vous admirez vos filles, les « working girls » stimulées par la compétitivité du monde moderne et constatez dans le silence de votre nid vide que vous n’avez peut-être rien fait de bien toutes ces années de couches, de repas brûlés, de taxi scolaire, de nettoyages javellisés…
Cet éternel recommencement a cassé vos ongles roses de jeune fille, refermé les rêves dans la vieille malle du grenier et ôté le sel de votre amour romanesque d’antan. Aujourd’hui, assises à la façon de Mathilde Loisel, le regard perdu dans l’aujourd’hui morose et l’hier éreintant vous cherchez un sens à tout cela.
Vous vous sentez inutiles et remisées comme une pièce de collection rangée avant l’heure, et peut-être vidées de ne toujours pas savoir qui vous êtes, ce que vous aimez faire et n’aimez pas, les dons que vous possédez, si vous avez bien fait et assez fait pour vos filles, si les erreurs seront pardonnées, si vous êtes suffisantes, si vous êtes aimées par votre mari qui n’a pas appris à dire ces choses.
Vous pensez beaucoup, trop et longtemps dans votre maison vide et vous ne trouvez pas les réponses qui réchaufferaient votre âme et vous rassureraient enfin. Projetées dans la vie matrimoniale avant même de savoir ce que signifiait « être femme », vous avez remis vos peines, vos attentes et vos interrogations à plus tard, année après année, et aujourd’hui elles explosent dans votre cerveau. C’est le feu d’artifice de la jeune fille dans le corps de la femme fatiguée, une association improbable !
Laissez-moi vous dire, chères mères :
Vous avez bien fait, toujours bien fait et personne ne viendra vous dire le contraire. Vous avez été et fait assez pour les autres, il est temps de penser à VOUS. Oui, vous m’avez bien entendue : « à VOUS ! Et à personne d’autre… »
J’ai un secret à vous confier : plus vous serez heureuses, plus vous vivrez en vous-mêmes et par vous-mêmes, plus vos filles reviendront vers vous avec leurs questions de femmes. Elles auront besoin de votre paix de mères pour y puiser le Sixième Sens que le monde leur refuse.
Ne méprisez pas d’avoir été les « sans…quelque chose » aux yeux des hommes aveugles. Toutes ces années n’ont pas été vaines, vous avez trouvé le Sixième Sens sur lequel repose le monde, le cœur de l’humanité et il est en train de s’éteindre. À toutes les questions qui tourbillonnent dans votre tête et que votre compagnon de tant d’années est incapable de lire derrière les larmes de la vieillesse, l’Univers si bon et si aimant a une réponse à offrir. Mais il faut marcher longtemps et dans le silence des marées pour entendre ces réponses cachées.
Je crois que ce murmure de Dieu repose dans les coquillages vides que les gens pressés écrasent sous leurs pieds. Je crois qu’il faut retourner à la source, chères mères, pour sortir de votre cœur las le Sixième Sens des femmes. Vous l’avez porté en vous toutes ces années et vous l’avez ignoré…
IV. À VOUS TOUTES
Le 8 mars touche à sa fin, le temps presse, il faut conclure.
Récemment, j’ai compris qu’être femme ne se mesure pas à ce que nous portons, à ce que nous possédons, à ceux que nous attirons et à ce qu’on dit de nous. Être femme, c’est avant tout « ÊTRE », trouver sa place dans le cosmos, reconnaître son Sixième Sens et l’utiliser pour bénir le monde.
J’ai fondamentalement besoin de la sagesse et de l’amour des Mères pour nourrir ma sagesse et mon amour et les transmettre à mes Filles. Vous me direz que je ne suis pas mère. Non, c’est vrai, je ne le suis pas au sens propre. Je n’ai pas encore donné la vie et je ne peux que difficilement comprendre cette expérience prodigieuse.
Mais je suis Mère, par ce Sixième Sens dont on m’a dotée avant même de naître. Enfant, j’étais mère à l’école quand j’allais systématiquement écouter ceux qui étaient rejetés et terriblement seuls ; adolescente, j’étais mère au lycée quand je refusais de rire à des plaisanteries dégradant la femme et sa sexualité ; jeune adulte, j’étais mère à l’université quand je dévorais les œuvres écrites par des femmes et répétais haut et fort que les femmes avaient besoin de leur « chambre à soi » pour écrire et créer ; adulte, je suis mère partout où je vais, chaque fois que je répète à mes nièces et aux adolescentes que leur voix est unique et indispensable, aux femmes que leur corps n’est pas un objet de consommation, que la liberté sexuelle n’est pas une liberté, mais un asservissement et que le Sixième Sens de la femme n’est pas à troquer contre un plat de lentilles aussi appétissant soit-il…
Je suis mère chaque fois que j’écris, car créer, c’est laisser la vie nous traverser.
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« Your children don’t have to come from you. They go through you. »
On pourrait croire que je me prépare à faire un remake de la trilogie de Stephenie Meyer, je vous rassure, il n’en est rien, encore que…
Dernièrement, alors que je zappais négligemment jusqu’à faire exploser « mon bouquet TV », un samedi soir, je suis tombée sur une émission bien connue qui fait passer pendant des semaines des auditions « à l’aveugle » pour débusquer non pas un, mais pléthore de talents, défendant la fameuse devise « Tout le monde peut-être un(e) chanteur(se) », ou encore « J’aurais voulu être un(e) artiste… » mais ça ne paye pas, c’est juste too late, mon gars !
Où en étais-je ? Ah oui, donc, la fille débarque sur le plateau, mais avant ça fait une rapide review de sa vie, une bande d’annonce en retard, quoi ! Ah ! cette génération d’influenceuces, de YouTubeuses, quel ego ! Bref, la fille se présente et justifie sa présence à l’émission de cette façon : « Je veux montrer, ce soir, qu’on peut ne pas être une victime toute sa vie ». What ? Tu débarques sur un plateau blindé, sous les projecteurs et devant des millions de spectateurs tu déclares de but en blanc que tu as subi des maltraitances dans ton enfance, puis tu hurles le « Je t’aime » de Lara Fabian.
Vous allez me trouver dure, une fois encore, mais où est partie toute la décence du monde ? Cela confirme mon analyse précédente des Millennials comme d’une génération qui ne sait pas faire la différence entre privé et public. J’irais même plus loin. La jeunesse croit aujourd’hui dur comme fer que pour retenir l’attention, être écoutée, gagner l’amour et donc se définir, il faut se convertir en victime, déchirer sa chemise et montrer toutes ses cicatrices : « Regardez, là, on m’a cogné(e), là, on m’a humilié(e), là on m’a tiré(e) par les cheveux, là, on m’a abusé(e)… »
Je sais bien qu’on a œuvré pendant des décennies pour délier les langues, faire parler les femmes maltraitées, les enfants victimes de sévices, les hommes humiliés, mais n’a-t-on pas ouvert une autre boîte de Pandore ?
Je m’explique. Une image vaut mieux qu’un long texte. Les médias le savent pertinemment et se nourrissent de ces témoignages filmés, de cette mise à nu permanente qui est censée faire avancer la législation, rompre le silence et surtout, il faut bien le reconnaître, faire vendre, faire monter l’audimat.
Alors ma question est toute simple : est-ce qu’on se nourrit, au XXIe siècle, du malheur des autres ? Est-ce qu’on renifle leurs blessures comme des vautours ? Est-ce qu’on est fasciné par la violence et la manipulation ? Être victime est-il plus vendeur qu’être fort et digne ?
S’il ne s’agissait que de paroles lancées sans réfléchir sur un plateau télé, la situation serait bien moins préoccupante. Il y a une contradiction pernicieuse soulevée par les associations féministes et les organisations de défense de femmes victimes d’abus : d’un côté, les affaires d’abus sexuels dans les domaines du sport, du cinéma, du théâtre ne cessent de nous exploser en pleine figure, chaque mois, dès que nous nous intéressons à l’actualité ; de l’autre, on multiplie les films et séries construits autour d’une relation toxique et on fait passer ça pour de l’amour !
On multiplie les films et séries construits autour d’une relation toxique et on fait passer ça pour de l’amour !
Certes, il est normal et attendu que la justice prenne au sérieux les révélations de femmes abusées dans leur jeunesse par des réalisateurs, des coachs, etc. Une fois encore on constate la force de cette solidarité féminine qui pousse une langue à se délier, puis une autre et une autre. Le courage de la première finit par gagner toutes les suivantes et c’est une avancée considérable pour la cause des femmes qui ne sont pas des objets de consommation, mais les maîtresses de leur âme et de leur corps.
Cependant, je condamne les journalistes et le showbiz qui se nourrissent de ces « affaires » malheureuses pour accrocher le grand public à la fange d’actes innommables qui font bien vendre ! Les victimes restent des victimes et ne seront plus connues à l’avenir que comme des victimes… C’est bien toute la réparation qu’on leur donne. On dilapide ainsi le nom comme autrefois d’autres ont dilapidé le corps et l’âme ! Je suis outrée !
Vous savez ce qui se passe quand une femme se rend au commissariat immédiatement après un viol, ou une tentative de viol : une fois les formalités, la déposition remplies, il est fréquent que la femme se rende à l’hôpital pour procéder à des examens médicaux évaluant les marques et séquelles du viol. Imaginez l’état de cette femme. La salle d’examen ne tarde pas à devenir une véritable chambre froide, une antichambre de la mort, parce que, oui quelque chose est mort en elle, n’importe quelle femme violée vous le dira. Objet inanimé, son corps est raide ou tremblant, les larmes coulent ou ne coulent pas, son cauchemar continue…
Alors, par respect pour toutes ces femmes dont le corps, l’âme et la vie ont été souillés par un homme vil, faible et immonde, laissons leur immense douleur reposer dans le dossier jaunâtre et l’oreille discrète des infirmières. Il faut que le bourreau soit jugé et puni, c’est évident, car il a en va du destin d’autres femmes. Mais j’ai bien envie de hurler quand je constate que, d’un coup de baguette magique le cinéma, Netflix, la télévision font endosser au bourreau le rôle du héros, à la victime celle de la femme amoureuse et soumise et à l’abus sexuel et émotionnel celui de l’Amour, avec un grand A.
Ça vient de sortir sur Netflix, une série en vingt épisodes, consacrée à une sorte de pervers narcissique et à sa victime : You. Ou bien la sulfureuse trilogie adaptée des romans de la britannique E. L. James par la réalisatrice Sam Taylor Johnson : Cinquante nuances de Grey, on va du sombre au plus clair, on n’y comprend rien, tellement c’est à vomir. Le plus honteux dans cette affaire, c’est que ce sont des femmes qui sont à l’origine de ce tas d’immondices, comme quoi on est capable du meilleur, comme du pire.
Dans un cas comme dans l’autre, la bande d’annonce m’a suffi, car je ne pourrai jamais, moralement, cautionner ces productions infâmes. Oui, ce sont bien nos Millennials qui sont les premières cibles de ces intrigues passionnelles débridées et mensongères. À une époque où le mot, la notion d’ « amour » est tellement galvaudée, où les parents laissent aux enfants et adolescents le soin de découvrir la sexualité par les séries, la pornographie et les vidéos suggestives concoctées dans un coin du collège ou dans une maison-fantôme vidée de parents toujours trop occupés, de morale et de repères existentiels, ces productions au départ doucereuses, puis terriblement érotiques, trouvent leur public.
Avec 365 221 entrées en France, Cinquante nuances de Grey est considéré comme le plus gros démarrage de l’année 2015. Alors on ne s’arrête pas là, bien sûr, si on peut continuer de se faire de l’argent sur le mensonge, le sexe, la manipulation et les abus, allons-y, Mesdames des studios ! Et ACTION…
Les associations féministes ont appelé au boycott du film avec la campagne #50dollarsnot50shades, autrement dit faites don de 50 dollars à une œuvre caritative destinée à aider les femmes victimes de relations abusives « comme celle que le film veut rendre glamour », plutôt que « de les dépenser en places de cinéma, baby-sitter, popcorn et boissons ». On dénonce alors « l’abus, la violence et les rapports sexuels sadiques », on montre combien les dialogues du film sont dangereux. J’en veux pour preuve la menace verbale faite par le riche bourreau – Christian Grey – à l’ingénue étudiante – Anastasia Steele : « Il fait très froid en Alaska et il n’y a nulle part où courir. Je te trouverai. Je peux tracer ton portable, tu te souviens ? »
Cette campagne est presque passée sous silence, une goutte d’eau dans la marée humaine déferlant dans les salles de cinéma. Il est alarmant de constater que nombreuses sont les adolescentes qui considèrent la relation sadomasochiste de Cinquante nuances de Grey comme un horizon d’attente. La violence sexuelle ainsi idéalisée, il n’est pas étonnant que ces mêmes adolescentes se plient au chantage malsain de camarades, amis FB ou followers leur demandant de se dévêtir devant l’objectif pour gagner quoi ? Quand allons-nous réagir ? Autrefois, on taisait tout, par peur des représailles, du bannissement social ; aujourd’hui on déballe tout et on transforme la perversion, la manipulation et l’abus sexuel en amour suprême.
Il est alarmant de constater que nombreuses sont les adolescentes qui considèrent la relation sadomasochiste de Cinquante nuances de Grey comme un horizon d’attente.
Les parents courent à la carrière et à une hypothétique reconnaissance sociale et le Ministère de l’Éducation n’a rien trouvé de mieux que d’enfermer les adolescents de quatorze ans dans une salle de classe avec une infirmière et une psychologue particulièrement incompétentes pour refaire leur éducation sexuelle qui se résume souvent à : « Écoutez, les enfants, un garçon est une fille et une fille est un garçon », puis s’en suit une liste interminable des pratiques sexuelles en tous genres, héritées de ces mêmes films et séries érotiques. Une fois le topos terminé, il reste bien quinze minutes avant la sonnerie, alors on la joue franc jeu : « Qui d’entre vous a un(e) copain(ine) ? Qui sait comment mettre un préservatif ? Qui a déjà eu des relations sexuelles ? » J’arrête là le catalogue de la bêtise éducative, c’est déjà lourd à digérer, nul besoin d’ajouter qu’on est loin des cigognes et petites abeilles du siècle passé…
Ce qui me gêne, voyez-vous, c’est que tous ces artifices cachent la réalité : un bourreau est un homme très faible qui s’engouffre dans les failles de sa victime hypersensible, résiliente, brillante, empathique. Cette relation finit par plonger la femme dans une grande dépendance, pas loin d’une addiction. Véritable chasse aux sorcières de notre millénaire, on traque les pervers narcissiques, on les voit partout, bien que les spécialistes affirment qu’ils ne constituent que 2 à 10% de la population, c’est déjà trop, vous me direz… Peu importe les chiffres, j’ai bien peur qu’on soit fascinés par la manipulation sous toutes ses formes et particulièrement dans le domaine amoureux. Croirait-on que les PN sont les sex-appeal et bad boys fétiches de notre société ? Célèbre-t-on la force dans la perversion ? Les aime-t-on parce qu’ils nous font devenir victimes et qu’on a enfin quelque chose à raconter ?
Croirait-on que les PN sont les sex-appeal et bad boys fétiches de notre société ? Célèbre-t-on la force dans la perversion ?
Je m’interroge et j’aimerais qu’on rende hommage à la résilience et non pas à la relation bourreau/victime. J’aimerais qu’on offre un répit à ces hommes et femmes qui portent en eux et sur eux une « cicatrice invisible ». C’est la blogueuse Mel qui m’a fait découvrir cette jolie expression dans un de ses articles :
« Vous voyez où je veux en venir ? Une blessure physique est un choc traumatique pour le corps et on peut dire que la relation d’emprise avec un ou une pervers narcissique est un choc psychologique d’une grande violence pour la personne qui le vit.
Comme lors d’une blessure physique, après cette relation, ce choc vécu pendant des mois et souvent pendant des années, le corps et l’esprit n’en ressortent pas indemnes.
Bien évidemment, après une relation avec un pervers narcissique, même si l’on a encore mal ou que l’on a eu mal, la cicatrice, la blessure, elle, ne se voit pas. Il n’y a pas de marque, pas de signal d’alarme qui rende les gens plus délicats et plus attentifs. »
Qui donc en parle de cette « cicatrice invisible » ? On préfère les gros titres, les romances perverties et les émotions exacerbées que le silence tout résilient de ces femmes et hommes qui empruntent le long et si solitaire chemin de la guérison.
Je me rappelle encore, et peut-être l’ai-je déjà mentionné, le gardien de la vieille église sur l’île de Procida, au large de Naples. Cet italien solitaire, homme de peu de mots, au teint buriné et animé d’une grande douceur, m’a fait visiter le toit délabré de l’église. Promontoire face à la mer indigo, ce toit était son refuge quotidien. Assis sur sa chaise, un livre à la main, un carnet ou la guitare du gitan posée tout à côté, le gardien de l’église a quelque chose de l’ermite des temps anciens. Il m’a montré les restes de l’abbaye à flanc de colline, l’île de Vivara, réserve naturelle abritant encore quelques vestiges et l’île d’Ischia. Le gardien de Procida a le regard apaisé d’un homme qui a passé des heures, des mois, des années à contempler la mer et la Création. Je n’ai jamais retrouvé une telle sérénité chez aucun homme ou aucune femme que j’ai côtoyé(e).
Ce qui me vient à l’esprit, là tout de suite, c’est que nous portons tous des blessures visibles et invisibles en cours ou non de cicatrisation. Il est possible que nous ne soyons plus jamais la même personne, à l’image de Frodo qui comprend, une fois rentré de sa quête et du Mordor, qu’il ne sera plus jamais le hobbit joyeux et insouciant qu’il était. Je pense à tous ceux qui déclarent comme Frodo que certaines blessures sont si anciennes et si profondes qu’elles semblent s’être emparées d’eux.
Nous portons tous des blessures visibles et invisibles en cours ou non de cicatrisation
Frodo prend un bateau en compagnie des Elfes pour gagner l’Ouest, quittant définitivement la Terre du Milieu. Nous ne pouvons pas tous partir et fuir notre passé éternellement. Je pense, quant à moi, que Frodo ne fuit rien, il trouve simplement sa destination. Il faut renoncer à la Fascination pour abandonner sa dépendance à un manipulateur ou à quelqu’un de tout simplement nocif. Il faut sonder son âme avec honnêteté, lâcher l’anneau dans les flammes de la Montagne du destin, rentrer en soi-même comme dans un trou de hobbit et exposer ses blessures, non à notre monde hyperconnecté et médiatique, mais à la chaleur et à l’amour de l’Univers, sur le toit en ruine d’une église chahutée par la mer capricieuse.
J’ai trouvé la Grâce à Procida, comme le vieux gardien de l’église, peut-être parce qu’il m’a transmis, sans un mot, un peu de cette sagesse ancestrale si nécessaire au cœur de l’Homme et si longtemps oubliée. J’ai marché des heures sur le sable noir de cette île silencieuse et ma blessure a accepté de se découvrir pour être nettoyée par l’eau salée et pure de la mer. Sortie de mes décombres, j’ai commencé à respirer et depuis, je n’ai jamais cessé d’inspirer à pleins poumons.
Savez-vous quelle est la première et récurrente question qu’on me pose après la lecture de mon roman Starry, starry night?
« Dites, Lise, c’est votre histoire, ou bien… ? »
C’est dire combien notre société est friande de déballages personnels et émotionnels. On veut un visage sous mon chapeau, on veut des noms sous le « elle » et « il » de mon roman, on veut du vrai, quoi !
Chères lectrices, chers lecteurs, et si le Vrai était un composé de vies reliées par divers canaux invisibles ? Si mon « elle » était une symphonie de « elles » blessées et résilientes, si mon « il » un chœur criard de faibles hommes sans passé et sans avenir ? Cesserez-vous de lire mon roman ? Il n’y a ni nom, ni lieu, ni date pour échapper aux projecteurs, éviter la fascination dangereuse et parler à toutes les femmes. C’est là ma vérité et mon combat…
Et si le Vrai était un composé de vies reliées par divers canaux invisibles ?
« Women need solitude in order to find again the true essence of themselves » Anne Morrow Lindbergh
1er janvier. 0H01. Temps des résolutions.
Vos oreilles ont-elles bourdonné de « Bonne année ! » ? « Alors tes résolutions 2020 » ? Vous affichez un sourire béat, vous serrez les dents pour attraper quelques désirs enfouis, pas trop égoïstes, pas trop idéalistes, pas trop banals et vous marmonnez « je voudrais… je voudrais… partir en voyage… acheter une maison… avoir une promotion… faire du saut à l’élastique… perdre du poids… faire plus de sport… me vouer à une cause humanitaire… trouver l’amour, le grand, le vrai… je voudrais… »
S’en suit l’interminable liste de « goals » ou buts et la conviction que cette année est la nôtre, celle où tout devient possible, car les astres seront sans aucun doute en notre faveur ! Autrefois, on griffonnait ses buts dans le coin d’un vieux cahier qu’on rangeait sous le sommier pour bien vite oublier qu’on s’était promis d’arrêter le chocolat. Aujourd’hui l’ère est à l’esprit communautaire. Quelques heures après avoir dressé la rétrospective FB des douze derniers mois, on se lance dans le selfie fever et la liste de courses personnalisée. Alors pas question d’oublier ses buts cette année ! Vos 600 amis virtuels sauront bien vous le rappeler…
Pourquoi s’atteler à cette maudite liste ?
Par tradition ? Par enthousiasme frénétique ? Par peur d’un silence douteux sur la plateforme tournante du net ? Ne serait-il pas préférable de se fixer un but à la fois, semaine après semaine, mois après mois, nous fiant uniquement à notre voix intérieure ? Il est rare que la vie rentre dans une liste toute faite et encore plus rare que notre année se déroule telle que nous l’avons imaginée en janvier.
Il n’y a pas de plus belles résolutions que celle d’accepter le changement et ses cadeaux déposés sur la plage et charriés par la marée de la vie. Plonger dans les eaux profondes jusqu’à mi-cuisses abandonnant la rive familière, puis nager et nager vers les Îles sous le vent. Il faut bien plus de courage pour ajuster les voiles que pour s’infliger une liste de bonne conduite censée corriger tous nos retards et écarts.
Il me semble que la liste des résolutions est parfois notre liste de cadeaux envoyée trop tard au Père Noël. On a enchaîné le Black Friday, les promotions de Noël et on s’achemine à toute bringue vers les soldes d’Hiver. Sept jours après avoir proclamé nos buts à la face du monde, nous sombrons dans les achats compulsifs qui nous consolent de nos échecs et plus généralement de notre procrastination endémique freinant la moindre tentative d’envisager le but n°1. Faute d’action concrète vers un but encore impalpable, on achète, on accumule les objets, les vêtements, les chaussures. Essayer nous donne l’illusion de devenir. Acheter nous donne l’illusion de contrôler. Posséder nous donne l’illusion de nous remplir. Et quand le produit devient trop familier, il ne peut plus dissimuler le vide qui nous ronge, il faut alors le remplacer, le dupliquer, acheter encore et encore.
La société de consommation exploite nos gouffres intérieurs et troque nos désirs profonds contre des envies futiles. Coupés de la Création qui seule peut régénérer l’âme humaine, nous nous contentons de batteries externes éternellement vides et défaillantes. Je suis sûre que tout comme moi vous avez déjà senti cette insatisfaction latente jamais résorbée et vous aussi, vous avez bricolé pour déraciner ce mal de l’âme.
La société de consommation exploite nos gouffres intérieurs et troque nos désirs profonds contre des envies futiles.
On imagine toutes sortes de placebo : le parfum Lancôme de Julia Roberts, la robe Gucci d’Amal Clooney, le sac à main Vuitton de Céline Dion et le pendentif Swarovski de Miranda Kerr. L’objet nous fait rêver à la vie que d’autres tellement plus connus et tellement plus fortunés ont ; quant à eux, l’objet porté le temps d’un flash et d’un sourire cache leurs démons.
Cette année 2020, je suis retournée à la source… J’ai pris ma voiture, roulé pendant deux délicieuses heures et rejoint la côte. Tout était silencieux et pur. Aucun touriste, aucun surfer, des locaux et quelques « paumés » comme moi qui venaient chercher la paix du grand large.
La marée était basse, les bouchots se dressaient face au couchant, invariables depuis l’été, depuis des années. Droits dans leurs bottes de glaise, les bouchots regardent toujours vers l’horizon, jamais vers la plage et ses dunes, ils cherchent la lumière du soleil, ils respirent le temps que la marée remonte et qu’ils soient à nouveau submergés dans un bain salé et ce, pour plusieurs heures.
J’étais exactement comme les bouchots cet après-midi de janvier. J’ai cessé de regarder en arrière, j’ai ôté mes baskets, posé mon sac-à-dos et j’ai traversé des rangées et des rangées de bouchots déjà secs sous l’effet du vent du Nord. J’ai posé mes mains sur ces grands pieux enfantés par Neptune pour me dresser, j’ai appuyé mon front contre les coques encore fermées, j’ai respiré l’air iodé et j’ai arrêté le temps.
Les mensonges, l’artificialité et l’anxiété que génèrent notre monde ont quitté mon corps, emportés par les vagues douces et cadensées et en échange, mes pieds ont absorbé la vie. La vie cachée de l’Ancien Monde, quand l’Homme était relié à la Création dans son écrin de verdure communément appelé « Jardin »…
Pourquoi l’Homme est-il parti ? Pourquoi ? ai-je demandé à la Mer. Quelle folie l’a poussé hors du Jardin luxuriant, divin où tout le bonheur était à portée de main ? C’est alors que j’ai remarqué les empreintes fraîches des goélands dans le sable humide. Eux aussi ont accepté de perdre l’Eden pour toujours, du moins pour quelques siècles.
« Comment se fait-il… que la chose la plus difficile au monde soit de convaincre un oiseau qu’il est libre et qu’il peut s’en convaincre aisément s’il consacre une partie de son temps à s’y exercer ? » s’exclame Jonathan Livingstone le goéland.
Les goélands ne nous voient qu’en modèles réduits, en pointillés, en taches insignifiantes. Comment pourraient-ils se croire menacés par nos gros sabots ? La clef de leur bonheur, c’est qu’ils naissent en se sachant libres, ils naissent entre le ciel et la terre et ne comptent pas redescendre aussitôt.
« Nous sommes libres d’aller où bon nous semble et d’être ce que nous sommes » ajoute Jonathan Livingstone.
J’ai regardé, ébouie, ces oiseaux de mer chatouillant le couchant et j’ai compris que moi aussi je suis entre les deux. Née dans ce monde, bien souvent enfoncée dans le sable jusqu’aux genoux, j’aspire au divin et à une réalité invisible à l’oeil nu. Je suis persuadée qu’il y a tellement plus que cette lumière artificielle qui nous fait croître de travers comme les plants de basilics dans les galeries souterraines de Naples. Il existe une lumière pure faite sur mesure pour notre âme affamée et repue des néons détraqués de nos fourmilières suréquipées.
Etourdie par tant de clarté, je me suis assise sur le banc de fortune qui abritait d’autres moules endormies. J’ai fermé les yeux longtemps, j’ai pleuré aussi d’être si faible face à tel déchaînement du destin qui avait reflué récemment devant ma porte. On se demande pourquoi de vieilles blessures se réouvrent brutalement, pourquoi « tous nos vieux ennemis », comme dirait Cyrano, se liguent pour nous barrer la route alors qu’on commence à peine à voler.
Nous avons tous connu nos heures sombres, le corps recroquevillé et le front collé contre le fond de la baignoire, nous avons tous vomi notre douleur et maudit la vie parfois si injuste, nous avons craint de ne pas passer la nuit, d’être absorbés par nos flots de larmes amères et de ne plus jamais nous relever. C’est alors que nous avons trouvé l’entre-deux, la lumière originelle et le vent de l’Est assez fort pour nous porter.
« La seule différence est qu’ils ont commencé à comprendre ce qu’ils sont vraiment et […] à mettre en œuvre les moyens que la Nature leur a accordés » lance Jonathan Livingstone.
Mais oui ! Bien sûr Jonathan ! Je comprends enfin…
Pourquoi « tous nos vieux ennemis » cesseraient-ils brutalement de nous retenir par la cheville ? Nous avons creusé et creusé pour sortir nos pieds de la fourmilière, nous courons hors d’haleine sur la plage, nous nous roulons dans les vagues avec frénésie et puis nous commençons à nous éloigner, notre talon rebondit sur la vague et hop ! On nous attrape !
« Voyons, reviens ! Il y a encore des galeries à consolider. Tiens, voici ta lampe frontale ! N’y va pas ! Tu vas te perdre et nous ne serons pas là pour te sauver. Nous avons besoin de toi, tu travailles dix fois plus vite que toute la colonie réunie et tu sais toujours là où il faut aller. »
La libération vaut bien quelques larmes. Il est probable que si on ne nous retenait pas une dernière fois par le talon, nous n’aurions jamais la force nécessaire pour rebondir dans l’immensité vierge et gonfler nos voiles à peine dépliées. Remercions « tous nos vieux ennemis », qui nous attendent encore sur les dunes, de nous avoir précipités dans cet entre-deux délicieux où la lumière abonde et révèle tout.
« Alors tes résolutions ? »
Je retourne à la source de toutes choses, à mon Eden encore invisible, à ma plage immaculée, au soleil de janvier trop longtemps caché derrière les nuages. Je nourris les coques de mes larmes salées, je lave mes pieds sur le rivage, je recueille la vie dans mon sein et je regarde en arrière une dernière fois pour découvrir mes ailes d’Albatros qui m’empêchaient, jadis, de marcher…
Je retourne à la source de toutes choses, à mon Eden encore invisible, à ma plage immaculée… LISE
« Elle poursuivit comme si personne ne manquait. Comme si le calme était revenu dans son âme… »
Alice FERNEY, L’Élégance des veuves (1995)
Les femmes, les hommes, les enfants du siècle passé ont cultivé le Silence. Certes, ils ont traversé des guerres mondiales, le chaos politique, l’insécurité économique, mais ils vous en disent peu ou pas. Nos grands-parents et leurs parents ne se plaignaient jamais, ne se révoltaient même pas à l’idée d’avoir failli tout perdre, et peut-être perdu, et ce stoïcisme est si frappant qu’on se demande s’ils n’étaient pas perdus quelque part sur un coin de la banquise de l’Antarctique pendant que les troupes ennemies défilaient dans Paris.
Le danger était partout et le monde a changé si vite et si brutalement chaque décennie du XXe siècle qu’il n’est pas imaginable que nos ancêtres aient supporté l’incertitude, la violence et la mort sans sourciller, sans aucun dommage émotionnel et psychologique.
Nous qui assistons à un déballage quotidien et malaisant des émotions de notre prochain sur les réseaux sociaux ne pouvons comprendre le Temps du Silence. Depuis l’assassinat de Kennedy, la mort de Diana, nous ne sommes que déballage émotionnel, larmes, effusions. Nous ne semblons jamais guérir de nos traumatismes, nous claquons un argent fou chez les psychologues, hypnotiseurs et psychanalystes (loin de moi l’idée de remettre en cause les compétences de ces professionnels) pour parler, déballer, sangloter…
Je m’interroge simplement : comment avons-nous pu passer du Silence pieux et des yeux secs aux Thérapies assourdissantes que nous faisons encore et encore avec nous-mêmes, c’est-à-dire sur notre mur, dans notre story, assistés par nos compatissants followers et accompagnés d’un torrent de larmes ?
Avons-nous trop caché et trop contenu ? Notre corps hérité de nos ancêtres se venge-t-il de toutes les larmes salées qui ont été refoulées ? Ceux qui sont morts appuient-ils leur front contre le nôtre dans l’Invisible de leur dimension nous suppliant de pleurer tout ce qu’ils se sont interdits ?
Certains avanceraient que la génération des Millennials montre une faible capacité à supporter les épreuves de la vie, les retards, les insatisfactions. Ils vivent dans l’instant, le monde virtuel, l’expression sans filtre de soi, les selfies à outrance et les cadeaux compensatoires des parents qui n’ont plus le temps de les voir grandir. Je crois qu’ils parlent beaucoup et montrent beaucoup d’eux-mêmes parce qu’aucune génération n’a jamais été aussi seule et mal aimée. De fait, ils ne savent pas trouver les mots justes et mesurés pour dire qui ils sont et ce qu’ils ressentent. Ils s’expriment, certes, mais sont bien incapables d’analyser leur dire et leur malaise.
Comment voulez-vous qu’il en soit autrement ? Pour peu que leurs parents étaient très occupés, très au travail, très absents et très collés à leur écran, quel qu’il soit, personne ne leur a appris le Langage. Cela me rappelle deux couples attendant leur commande, assis nonchalamment dans le MacDonald. Je ne suis pas loin et j’observe « en double » la même scène. Le père est penché sur son Iphone, littéralement absorbé par l’écran lumineux, la mère sur le sien, ou bien s’agitant au comptoir, l’enfant dans la poussette gazouille, gémit, s’exprime, veut communiquer, mais personne ne lui répond, ou bien on lui aboie dessus.
Puis l’enfant grandit, il pleure encore, ce sont des caprices, des plaies non identifiées, une trop grande solitude, mais ses parents le croient en sécurité dans sa chambre où le monde et ses prédateurs rentrent et sortent par l’écran de son téléphone, de son ordinateur, de sa tablette. Il est ultra « connecté », il a bien retenu sa leçon, mais il est incapable de dire qui il est et ce qu’il ressent véritablement. Alors pour oublier ce grand vide dans lequel il perd pied, il publie beaucoup, il like beaucoup, il a besoin de dire qu’il aime les autres et de lire qu’on le suit et qu’on l’aime, que son existence ne passe pas inaperçue aux yeux des autres, 600 amis virtuels toujours connectés tout aussi déboussolés que lui…
C’est alors que le thérapeute intervient. Trouble du comportement, insomnies, alimentation chaotique, phobie scolaire, instinct de persécution, violence dans la Cour de récréation, hyperactivité, dys-quelque chose… On va le faire parler et l’écouter, on va lui apprendre la communication saine, on va essayer de le « stabiliser » et d’en faire un adulte pas trop amoché.
Notre société a ouvert la boîte de Pandore de l’Ego. Le Temps du Silence est bien révolu et les anti-dépresseurs fonctionnent à plein régime. Pourquoi ? Nous ne subissons aucune arrestation, aucune guerre des tranchées, aucun couvre-feu, aucune déportation et pourtant, nulle génération n’a été plus malade que la nôtre.
Vous objecterez : « Oui, mais avant, on ne le disait pas, on n’en parlait pas, on vivait avec… » Je vous l’accorde. Pas encore bombardés par les fictions hollywoodiennes éprises de couples parfaits et de l’amour qui triomphe toujours, se consomme avec le premier venu, se renouvelle sans cesse et justifie toutes les trahisons et pulsions égoïstes, nos ancêtres savaient très tôt que la vie est juxtaposée à la mort et que les quelques joies sont « très vite effacées par d’inoubliables chagrins » (Marcel Pagnol). Vous lisiez cette sagesse des Anciens dans le couffin vide de votre plus jeune frère qui n’avait pas survécu à sa première semaine sur terre, sur la médaille tachée de votre père mort au front en quatorze, à la clôture du champ désormais interdit vendu au rabais par votre mère, veuve à vingt ans. On vous avait pétri dans cette sagesse du « rien ne dure jamais » et la souffrance était ainsi votre héritage, votre dot, sans que jamais on n’en parle.
On ne savait pas parler de la vie, on ne pouvait que la vivre et la traîner dans les plis de sa robe, de sa chemise, robe et chemise cent fois reprisées et à jamais portées. On vivait par imitation, sans se plaindre, sans formuler la moindre frustration, à moins de passer pour une originale, une fragile. On vivait trop content de ne pas être mort prématurément et on taisait ce fourmillement intérieur qui pourrait bien encombrer le corps tout entier tendu dans les gros travaux, la moisson, l’élevage des bêtes, la mine, l’usine, l’enfantement périlleux…
« Dis, grand-mère, comment ta mère, comment ta belle-mère ont supporté de perdre leur mari à la guerre, leur enfant à la naissance ? Qu’est-ce qu’elles ressentaient ? Ont-elles pleuré ? Ont-elles surmonté leurs blessures ? Que disait-on d’elles au village ? Avaient-elles le corps abimé par la vie ? »
Rien, elle ne sait rien. « Tu sais, on ne parlait pas de ces choses-là. Elle est morte à quarante ans et personne n’en a jamais parlé. »
Rien, je ne sais rien. Ces visages à jamais voilés, à peine reconnaissables dans le coin d’une vieille photo prise de très loin. Un regard indéchiffrable et impassible, des rides, certes, mais c’est un parchemin illisible.
Adèle Bloch Bauer peinte par Gustav Klimt
Je ne sais rien de ce Temps du Silence. Ces femmes n’ont rien écrit et rien dit. Leur vie est passée comme un rêve. Leur souffrance reste à jamais cachée dans leurs entrailles. Petits bouts de femmes jamais courbés, jamais désespérés, jamais inoccupés. Il est probable que la fatigue ne s’est fait sentir qu’au moment de partir, la main sur le comptoir et les yeux hagards, sans rien à dire, sans blessure à confesser, sans regret, peut-être soulagées d’avoir atteint le port où l’âme pourrait enfin se déplier et s’étendre dans la douce chaleur d’un été immobile.
J’oserais vous dire que je porte ces petits bouts de femmes en moi, sans le savoir, sans identifier ce qui vient d’elles et ce qui est de moi, ce que la vie nous a dédié et ce qui nous rapproche. Je ne pourrais même pas vous dire ce qui les rappelle dans mes traits et ma silhouette. Mais je serais tentée de penser qu’elles m’ont soufflé sur le berceau cette résilience à toute épreuve qui m’incite à « poursuivre comme si personne ne manquait, comme si le calme était revenu dans mon âme ». Alors quand j’éclate en sanglots et ris aux larmes, c’est mon cadeau à ces petits bouts de femmes, ce trop plein d’émotions qu’elles ont emportées prématurément avec elles, ce lien du sang qui n’est autre que l’onde de la joie et de la souffrance qui nous réunit.
Enfin, je me rappelle ce Temps du Silence et j’essaie de le retrouver quelquefois. Je m’exile, loin de mon univers connecté, je pars seule dans cette brèche imperceptible de l’Autrefois. Je fais silence, je vide mon esprit, les pieds clapotant à la surface d’une eau vierge et très douce et dans mon silence, je les entends, mes petits bouts de femmes, je les retrouve et nous parlons de tout ce dont seules les femmes ont le secret, de l’amour, de la vie, des larmes, des joies fragiles, du nourrisson chaud contre la poitrine, de l’homme insaisissable et si nécessaire. Lise note alors tout ce que ces petits bouts de femmes lui disent et elles ont beaucoup à dire, croyez-moi !