GRENIERS

Un jour, un ami à moi, retraité depuis quelques années, m’a expliqué : « J’ai pensé écrire sur ma vie, mais arrivé à mon âge, on n’a pas vraiment envie de regarder et de fouiller son passé et celui de sa famille, pour quoi faire ? ». Je percevais tout au fond de ses yeux l’image folle de sables mouvants prêts à l’avaler à la moindre tentative de retour en arrière. Pour quoi faire ? Ma foi, on a assez bien vécu ou survécu jusqu’ici, pourquoi diable remettre tout en question maintenant ?

Puis j’ai pensé à tous ceux qui font régulièrement des « pauses dans le grenier ». Je m’explique. C’est la fameuse scène qu’on trouve dans plusieurs récits de jeunesse : l’enfant escalade les marches interdites menant au grenier familial pour se faire une petite frayeur (histoire de pimenter des vacances d’été trop longues ou trop vides) et finit par y passer des heures au milieu de vieux meubles, de vieux jouets, de vieilles toiles d’araignées.

C’est là que Bastien trouve refuge au début de L’Histoire sans fin pour fuir les cours ennuyeux de ses professeurs, les regards moqueurs de ses camarades et mieux se plonger dans ce livre étrange dérobé chez le libraire, car n’est-ce pas une succession d’histoires sans fin qui attendent le pilleur de greniers ?

J’étais bien plus jeune quand j’ai moi-même arpenté le grenier bien ordonné de mes grands-parents qui contenait tout ce qui leur restait de décennies passées sur une île à l’autre bout du monde. J’ai passé ma main sur le couvercle poussiéreux de vieilles malles et cantines qui avaient contenu tout l’univers de ma grand-mère, tout ce qu’elle y renfermait d’années de mariage, de la succession des naissances, d’un confort bientôt abandonné, de larmes qu’elle avait refoulées mais qui s’étaient échappées pour mieux rouler sur la surface lisse et froide de la caisse.

On avait hissé les énormes cantines sur les autres marchandises du bateau et elle avait su qu’aucun retour en arrière n’était désormais plus possible.

Le grenier est une zone de repli, mais également un fantôme bien incarné du passé. Nous sommes à peine nés que ces histoires, ces joies et ces tragédies nous collent à la peau comme le sel se dépose sur tout notre corps après un bain de mer et s’y accroche pendant des heures.

Nous portons tous des histoires plus ou moins longues et plus ou moins révélées qui semblent nous définir et nous ancrer dans le monde des hommes. Parfois, ces histoires semblent s’être emparées d’une partie de nous alors même que nous n’en sommes pas les acteurs principaux et que nous n’arrivons qu’au cinquième acte.

On vous dira que c’est bien cela « avoir l’esprit de famille » ! Reproduire à l’infini des comportements destructeurs, mais justifiés, pour rassurer tout le monde que vous êtes bien du même sang, que vous prenez votre part de malédiction et que vous la transmettrez à ceux qui vous suivront.

Bien entendu, personne ne verbalise ce phénomène intergénérationnel de cette façon. Si c’était le cas, tout le monde conviendrait que c’est complètement stupide et passablement dangereux de construire sa vie sur les vieilles malles rangées dans le grenier dont vous ne connaissez ni la profondeur, ni ce qu’elles ont contenu, et pour être tout à fait honnête vous vous fichez bien de ces malles ! Alors pourquoi passer votre main sur le couvercle poussiéreux avec nostalgie ?

Voici ma réponse : il s’agit de dévotion. Vous entretenez le culte des aînés et des vieux meubles à la manière des Romains trimballant les statuettes de leurs ancêtres partout pour offrir des prières devant ces autels familiaux dix fois par jour. Nous sommes tous d’accord que ça ne les ramènera pas à la vie.

Mais ça fait de vous un bon héritier, un bon enfant, un bon frère, une bonne sœur, une bonne personne.

J’ai un scoop : ça fait juste de vous un antiquaire qui ne vend rien, un gardien de musée, le vigile imperturbable des réunions de famille plus statique et inerte que La Joconde elle-même, avec ce sourire consensuel qui veut tout dire et rien dire à la fois, bref, le genre de sourire qui rassure tout le monde sur votre engagement illimité à la cause familiale.

Nos aînés sont devenus intouchables et tout puissants tels les dieux capricieux de l’Olympe. Ils remportent tous les suffrages dans la tragédie du décès et obtiennent de façon posthume l’immunité diplomatique à jamais. Tel grand-père qui a été un homme particulièrement autoritaire et égoïste de son vivant devient un saint au jour de son inhumation et on répète à corps et à cris qu’il a toujours travaillé dur et donné un toit aux siens.

On décide d’un commun accord d’effacer l’ardoise et on tait la cruelle réalité : les blessures que les vivants continuent de porter au quotidien et qui contaminent toutes leurs relations. Les blessures qui viennent de l’enfance et qui nous appartiennent, comme celles qui nous ont été transmises et qui leur appartiennent.

Il est possible de passer toute sa vie dans le grenier sans jamais en trouver la sortie ou bien en étant effrayé de franchir le seuil, de verrouiller derrière soi et de retourner dans sa propre vie. Le grenier, c’est froid, douloureux, obscur, c’est un concerts de gisants et d’orants suppliants, mais c’est rassurant quand on n’a jamais rien connu d’autre.

J’ai croisé quantité de personnes qui se débattent dans leurs greniers familiaux et qui refusent d’en sortir pour toutes sortes de raisons.

La culpabilité : « j’essaie d’être une bonne fille », « je dois bien cela à ma mère après tout ce qu’elle a fait pour moi », « j’ai déçu tant et tant de fois ma famille, je ne peux pas leur faire ça… ».

Le chantage de l’amour : « personne ne peut m’aimer plus que ma famille », « je n’ai confiance qu’en eux… », « ils me disent ça pour mon bien, ils ne pensaient pas à mal », « ces choix leur ont plutôt bien réussi, alors pourquoi pas à moi ? ».

La vie par procuration : « j’ai accompli tout ce que ma mère a toujours désiré pour elle-même », « après tout ce qu’elle a fait pour moi, je lui dois bien ça », « je serais bien égoïste de ne vivre que pour moi » et j’en passe.

Il semblerait que dans l’imaginaire collectif un enfant porté, né, éduqué, nourri, instruit et conduit jusqu’à l’autonomie ouvre dès ses premiers cris un crédit illimité à la banque parentale. Il s’agirait quasiment d’un pacte de sang grâce auquel vous n’avez plus que des devoirs longs comme le bras pour rembourser une dette fictive, abusive et déraisonnable.

Je ne condamne personne, je ne crie pas à l’injustice pour les manquements, les erreurs et les abus perpétrés par bon nombre de parents, car après tout, nous sommes tous des survivants tapotant nos blessures toujours à vif et navigant clopin-clopant dans ce vaste monde. L’opposition, les blessures, les déceptions, les injustices sont inévitables, mais jamais définitives ou fatales. Nous avons bien plus de ressources que nous ne l’imaginons, un réservoir de vie et de guérison quasi miraculeux.

Je dis simplement qu’il est temps que l’omerta si répandue qui consiste à taire et à cacher les drames familiaux pour mieux déifier les parents et les ascendants doit cesser, que la vérité doit triompher pour que les âmes guérissent et s’emparent à nouveau de leur propre existence dont elles sont les seules responsables.

Je dis qu’il existe encore trop d’orgueil et de traditions qui brisent au lieu d’élever, que l’amour sert bien souvent à déguiser le contrôle et l’intolérance et que les émotions de chacun doivent être respectées et exprimées.

J’en ai fini avec ma maigre plaidoirie. Parlons de ce qui est concret, de ma vérité.

Je suis issue de générations de femmes en pleine mutation. Bébé de la fin des années 80, j’ai baigné dans la vague féministe et j’ai grandi dans une société sans dessus dessous. Je porte en moi, que je le veuille ou non, les non-dits de la génération d’après-guerre et les protestations assourdissantes de la génération de 68.

J’ai dû concilier les froids secrets, les traînées de larmes quasi disparues de la vieille malle chahutée jusqu’à l’autre bout du monde et les pancartes criardes de l’émancipation et de l’anti-homme. J’ai eu le tournis sur ce manège fou pendant des années, je ne trouvais ni ma place, ni ma voix. J’ai répondu à la règle d’or qui rassurait tout le monde du « j’ai-fait-ce-qu’on-m’a-dit » jusqu’à me taper violemment la tête contre le mur le plus dur et le plus haut de mon existence.

J’ai trouvé ce mur, moi aussi, à l’autre bout du monde en traînant à grosses suées mes propres malles lourdes des attentes, des blessures, des tristesses de mes mères et jetées à la va-vite par le rafiot de la vie sur une plage déserte.

Tout comme ma grand-mère était partie pour suivre son homme, tout comme ma mère était partie pour rejoindre le sien, j’étais partie pour retrouver un homme.

Je ne savais rien de la vie. Je ne savais rien des hommes, si ce n’est qu’ils étaient pour la plupart des femmes de ma famille source de déception. Comprenez-vous ce que cela signifiait ? J’avais beau être partie à l’autre bout du monde, j’étais, dans mon esprit, restée confinée dans le grenier de ma grand-mère, condamnée à reproduire éternellement la même histoire qui avait le goût d’un mauvais drame, d’un rite initiatique totalement stupide. Personne ne m’y avait obligé, on ne m’avait pas même invitée à le faire, j’avais tout organisé moi-même, j’orchestrais, je jouais, je chantais la symphonie discordante d’un bonheur feint.

Mais voilà, j’ai stoppé cette mascarade en plein vol, j’ai tout planté et j’ai crié longtemps, longtemps et avec force. Aujourd’hui, je ne peux même plus concevoir le visage de cet homme. J’ai oublié. Il a disparu, empilé sur les étagères du grenier de ma grand-mère. Il n’est qu’une histoire fantomatique aux contours flous qui surgirait dans la brume d’une œuvre de Hitchcock.

Tout cela m’est passé, car tout finit par passer dans la vie.

Il n’était qu’un simple courant d’air qui se devait de faire claquer la porte du grenier grimaçant que je refusais de quitter. J’ai poussé le verrou, descendu les quelques marches qui me séparaient de la terre ferme et la « malédiction » s’en est allée, les hommes dits « décevants » également.

Allégée des histoires qui n’avaient jamais été les miennes, des meubles et objets que personne n’était plus condamné à garder, je suis sortie et j’ai respiré l’air frais d’un matin d’été. Au seuil de ma vie, il y avait lui, l’homme à qui j’ai confié la plus belle part de moi-même, celui qui prend sur lui mes clartés comme mes ténèbres, celui que je décris comme « merveilleux » et qui ne cesse de me répéter qu’il n’est qu’un homme « normal ». Il est depuis toujours cet arbre majestueux autour duquel j’enroule mes racines dans un abandon qui ne me fait plus peur.

Nous nous voyons tels que nous sommes et nous aimons ce que vous voyons.

Il est difficile de comprendre ce genre d’amour, mais il existe. C’est comme aimer pour la première et la dernière fois. On se croirait à l’aube du premier jour pour le premier des hommes, débarrassé des vieilles malles, des « on dit » comme des « non-dits », des expériences malheureuses qui collent à la peau, des antiques malédictions… On se contente d’aimer et de le respirer un peu plus et un peu mieux chaque jour sur une plage vierge de toute empreinte hostile…

Nouvel aiguillage

Il est possible de considérer notre vie comme une longue voie ferrée qui disparaît à l’horizon. On avance à pied sur cette voie et on enjambe rail après rail sans trop savoir combien notre voyage totalisera de rails ou de kilomètres.

J’ai traversé l’autre jour une voie ferrée complètement déserte qui serpentait au beau milieu d’une forêt. Au centre des traverses, j’ai jeté un regard en arrière et en avant et je me suis demandé combien de trains avaient défilé sur cet acier vissé au sol humide. J’ai pensé à ma vie, à toutes ces vies qui se formaient rail après rail sans même s’en rendre compte. Souvent persuadés que nous faisons nos propres choix, nous oublions que certains rails ne sont que le fruit d’une génération bien pensante ou plutôt mal pensante.

Je suis née à la fin des années 80 et comme beaucoup de femmes de la fin du siècle dernier, je suis le fruit d’une émancipation durement obtenue qui a posé les rails de mon chemin de vie. On m’a souvent pointé les défaillances des hommes, les mauvais traitements des femmes, la course à l’égalitarisme frénétique, l’orgueil de « faire carrière », le caractère accessoire de la maternité et la révolution sexuelle.

Par conséquent, toutes les « vraies femmes », c’est-à-dire et selon l’expression consacrée, les femmes qui réussissent, sont celles qui volent la vedette aux hommes, surpassent les hommes, remplacent les hommes et n’ont pas besoin des hommes.

Pour ma part, je trouve cette définition de la femme moderne « couteau suisse » peu attrayante et extrêmement dénaturée. Je vois les fruits de Mai 68 comme une armée de femmes soixantenaires totalement performantes, indépendantes et manifestement seules. Elles ont plongé avec délice dans la « liberté » sexuelle que cette nouvelle ère révolutionnaire leur offrait et, entre coup d’un soir, pilule du lendemain, avortement in extremis et bébé à emporter, elles ont perdu tout sens de la féminité et toute confiance dans les hommes.

J’ai beaucoup écouté et beaucoup observé ces dernières années, j’ai beaucoup marché aussi pour comprendre ce que cela signifiait « être femme » et de nouvelles pensées, de nouveaux rails se sont dessinés sous mes pieds.

La femme du XXIe siècle a perdu le pouvoir de « dire non ». Paradoxalement, elle est experte dans les bras de fer à l’étage des Ressources humaines, mais elle est totalement conciliante quand il s’agit de l’aventure d’un soir, du coup de foudre hormonal, ou bien d’être sponsor à plein temps d’un parasite qui se présente comme « homme en devenir ».

Croit-elle que tout accepter, tout donner et tout financer soit le couronnement des guéguerres féministes ? Pour moi, c’est un véritable esclavage moderne qui ne se dit pas, c’est l’abdication de la féminité et le renoncement à la vertu souveraine.

On nous a menti, on m’a menti très longtemps. Les livres avant-gardistes, les films porte-étendards du « girl power », les self-made-women nous ont sciemment et trop longtemps caché la vérité : ne pas dire non à cette société en état de dégénérescence accélérée, c’est signer sa propre désespérance. Être allées au bout de nobles idées pour se rendre compte qu’on est vidé de tout et de tout le monde, particulièrement des hommes dont on a fait nos propres bourreaux. Puis, en vouloir à tout et à tout le monde, se dégoûter soi-même, mais continuer d’être forte, du moins donner le change, pour se voiler la face quelques années de plus et éviter le triste constat que la révolution sexuelle, la soi-disant libération de la femme n’est qu’une autre forme de prostitution moderne.

Il n’est guère aisé de sortir des sentiers battus, de tourner l’aiguillage et de choisir une voie beaucoup plus étroite et totalement inconnue. Pour moi, cette nouvelle direction donnée à ma vie consiste à savoir dire non à ce que je n’ai pas choisi, à ce qui est rabaissant, non à la performance et à l’efficacité, non à l’auto-suffisance, non à la compétition avec l’homme, non au sentiment de supériorité qui a galvanisé une génération entière de femmes voraces.

C’est alors qu’un espace s’est ouvert en moi, aussi vide et mystique que la Piazza San Marco en hiver, je n’imaginais pas que les dalles et les arcades pouvaient devenir tout à coup silencieuses. J’ai compris que dans ce silence étrange, si nouveau pour moi, je pouvais remercier et recevoir. Il y avait enfin la place d’être femme et de respecter l’homme pour tout ce qu’il est et tout ce qu’il peut devenir.

Je reprends le chemin d’Eve, la première de toutes les femmes, et je fais le même choix qu’elle : c’est celui des douleurs de l’enfantement, d’un monde imparfait, des cailloux dans mes chaussures et non plus de la douce herbe fraîche de l’Eden glissant sous les pieds nus ; c’est celui des larmes occasionnelles, des regrets déchirants, des nuits de colère.

Pourquoi choisir une telle voie ? Parce que dans ce monde, dans cette vie, rien n’est immobile et parfait comme dans notre premier jardin, tout change et nous aussi, rien ne dure, les joies comme les peines, les succès comme les échecs. Tout passe, tout se transforme pour devenir plus complet et plus abouti.

Je choisis le chemin d’Eve, parce qu’il est celui des plus grandes joies, parce que lui seul peut me conduire aux rivages éternels, parce qu’il forme ma tendresse de femme, parce qu’il passe par Adam, mon Adam. C’est alors que j’ai emprunté les rails de l’Origine, l’origine de notre monde, de notre nature, de ce que cela signifiait alors être femme et être homme. J’ai su que loin de la compétition et de la confusion des genres se trouvait la vérité. Si je savais qui j’étais, alors je pouvais m’aimer, aimer Dieu et aimer mon homme…

LISE

DIFFICILE D’ÊTRE FEMME

18 JUIN 2020

« C’est difficile d’être une femme au XXIème siècle… On nous a appris à être indépendantes, polyvalentes et brillantes. Nous sommes des vraies femmes, « libérées » au bon sens du terme, mais il y a encore du machisme. C’est difficile avec les hommes. Soit ils nous contrôlent, soit ils sont faibles. En bref, ils sont décevants… »

J’entends souvent ce discours et ces interrogations chez mes amies et connaissances. Jamais la femme n’a été plus perdue qu’au siècle de sa « libération ». Étonnant, non ?

Avez-vous remarqué le nombre de femmes « libérées » désespérément larguées, désespérément seules ? La femme est devenue cet atome flottant dans l’univers, dilaté et errant, navire sans ancre, sans port, sans homme. Moi aussi je pensais comme ces femmes autrefois, j’étais fière de mon indépendance, de mon cynisme, de mon non-conformisme au modèle traditionnel de toutes mes cousines mariées à la ribambelle et casées à qui mieux mieux.

Je me disais « Pouah ! Les couches sales qui traînent sur le rebord de la baignoire ! Ça craint ! Moi ? Prendre la température des gosses ? Jamais ! ». Bref, vous l’aurez compris, j’étais bienheureuse dans mon célibat 4****. À moi les soirées popcorn et comédies romantiques ! À moi la gym et les abdos quatre fois par jour (comme si je prévenais les rondeurs d’une future hypothétique grossesse ou bien neutralisais les pots de Ben and Jerry gobés devant le sourire béat de Keanu Reaves une fois qu’il retrouve enfin sa Kate perdue dans le temps avec qui il communique via une boîte aux lettres magique – concept franchement niais quand on y réfléchit) !

J’appartiens à cette génération de femmes qui ont baigné dans la romance fabriquée par les studios Hollywood, Bollywood, Neuneuwood et donc je n’ai jamais rien appris de l’amour véritable qui se construit année après année avec un homme normal, ouais, pas romantique en fait, un homme du monde réel, quoi ! Mais voilà je me suis noyée, comme tant d’autres, dans le miel trafiqué à forte teneur en sucre industriel et 0% de ce que les bei-beilles butinent, pensant qu’un jour ma vie pourrait ressembler à ça !

Of course, un gars qui grimpe à l’échelle d’un immeuble en brique de Brooklyn avec des fleurs sous le bras ou dans la bouche, ça court les rues ! Ou bien le type genre Duc made in Hugh Jackman qui débarque du XIXe siècle pour griller des tartines sur votre plateau petit déjeuner tout préparé et se lever quand vous quittez la pièce, j’y crois, à force de me mordre les lèvres, il va bien tomber d’une faille spatiotemporelle ! Tout est réglé en 1h40 de film, alors vous finissez par vous dire que sur une moyenne de dix ans, il y a bien un homme romantique qui va vous proposer quelque chose, non ? Sauf qu’il y a le type respectueux, travailleur, responsable et timide qui travaille dans le même bureau que vous, mais qui n’a aucune chance, et ouais, pas assez beau, pas assez entreprenant, le best friend à vie et encore !

S’il ne s’agissait que de scénarios bas de gamme et irréalistes, passons, mais il y a les dix bonnes minutes où le romantique dévore les joues de l’ingénue, la nuit où elle abandonne toute retenue et hop, c’est une maîtresse ! Rassurez-vous, all is right, il y aura une petite dispute, mais ils finiront par se rabibocher et peut-être songer à un enfant ou deux, enfin, quand ils auront épuisé la case « amusements et voyages haut de gamme », la case « chien de compagnie ou mini bébé » et désireront un mini-moi pour leur survivre.

Nous, les femmes du XXIe siècle, nous sommes perdues à force de mensonges commercialisés, de cures de jouvence, de quêtes effrénées de ce qui fait vibrer, de gars d’une nuit, de surconsommation du corps. Nous nous sommes perdues dans les vaines promesses et dans l’oppression des faibles hommes qui se déguisent en champions du romantisme pour nous appâter, avant de consommer notre corps, le temple de la vie, et de nous larguer avec d’autres vies minuscules qui n’ont rien demandé de tout ça, qui n’ont pas choisi d’être enfants de quinzaine, orphelins mais pas sur le papier, victimes de notre égoïsme légendaire.

Nous n’avons pas pensé, non, nous palpitions à l’appel du romantisme et des nuits torrides que le siècle de la libération et de l’avortement nous offrait sans caution. Nous avons voulu tâter un peu de cette vie d’amours libres autrefois réservée aux hommes. Nous avons appris la consommation et nous avons oublié peu à peu le miracle de la procréation. Quant à celles qui ont répondu tôt à l’appel de la vertu, de la fidélité et de la maternité, nous les avons reléguées au rang des « sans emplois », des rien du tout, des anti working women, des faibles…

C’est alors que les Cieux ont pleuré, longtemps et silencieusement, ils se sont penchés sur les berceaux vides, les lits du plaisir et les enfants apeurés dans le noir qui découvrent le nouvel appartement de Maman, le nouveau copain de Maman, le nouveau weekend chez Maman, la gorge serrée, ces enfants peuvent à peine respirer et ils se demandent pourquoi ils ne se sentent plus en sécurité nulle part, mais seuls, désespérément seuls…

Les Cieux ont pleuré, la Création a gémi et a voulu voiler sa face à tout jamais pour ne plus voir le monde des hommes se prostituer et se détruire, ces femmes et ces hommes qui devaient les gouverner et leur montrer la voie, désormais perdus, errants, solitaires, sans racines ni rameaux, habitant une douleur infinie et sombre.

J’appelle à une libération de la femme, non pas à une libération-mutation qui fait des femmes les hommes durs de demain, non, j’appelle à une libération du mensonge, des compromis, de l’exploitation du corps sous toutes ses formes, de la sexualité sans responsabilité, sans promesse, sans amour, sans vertu, du mépris et de l’anéantissement de l’homme si différent et si complémentaire.

Il n’est difficile d’être femme que le jour où l’on ne sait plus qui on est, qui on aime et ce en quoi on croit…

LISE

Je t’aime un peu, pas du tout, à la folie…

27 AVRIL 2020

CONFINEMENT : SEMAINE 7

« Many women in Herat may survive coronavirus but won’t survive the lockdown »

Marzia Akbari

(psychologue dans la ville d’Herat en Afghanistan)

Assises dans notre canapé, en plein zapping, on tombe malencontreusement sur un reportage Arte qui parle de ces femmes mariées de force à treize ans, violées, agressées, battues, engrossées, insultées et cachées derrière la porte imprenable d’une habitation sans nom, dans un pays dont la première syllabe nous fait frissonner et on se précipite sur la télécommande pour basculer sur un autre programme, quelque chose de plus sucré, de plus funky. On pousse un soupir de soulagement et on pense toutes : « Heureusement, je suis née en France, en Europe, heureusement… ».

Puis, nous parcourons le journal Le Monde et apprenons que, sur une période d’une semaine, les signalements de violences conjugales ont augmenté de 30% depuis le début du confinement. En France ? Non jamais !

Je crois que le confinement peut révéler le meilleur comme le pire chez nous autres humains.

INTROSPECTION

Pour ceux qui, comme moi, aiment se prêter à l’introspection quotidienne, le confinement offre le temps, beaucoup de temps pour penser, faire le point et ne garder que ce qui a le plus d’importance dans la vie. Le bonheur est devenu quelque chose qu’on doit arracher aux lois et restrictions étouffantes qui dictent et uniformisent le quotidien de chacun. Alors, on n’a plus le temps de s’accrocher à des vieilles guéguerres, d’inutiles rancunes, des jalousies toxiques, bref tout ce qui dérobe les quelques instants parfaits qui oxygènent l’âme.

STAGNATION

À côté des amoureux de l’introspection, on trouve les « stagnants ». La crise ne les rend ni meilleurs ni pires, non, ils ne changent pas. Les stagnants ont une forte capacité de survie, car ils ne se posent pas trop de questions sur eux-mêmes, sur la suite, sur la vie. Ils poursuivent leur route comme elle a commencé avec le même flegmatisme légendaire. Ils sont capables d’avaler une quantité astronomique de séries et d’émissions en tous genres, histoire de faire passer le temps. Ils ne se lancent jamais dans des combats perdus d’avance, ils attendent, confiants dans leur bonne étoile que le ras de marée va prendre fin, demain, un jour, qui sait ?

VIOLENCE

Enfin, cohabitent avec les yogis et les stagnants, les « violents ». Ceux-là, personne n’aime en parler, on préfère les oublier, voire les nier. Les violents étaient considérés par les grands penseurs grecs comme la première et grande menace de la société. La catharsis n’a pas bien opéré sur eux. On a eu beau les coller au premier rang de l’orchestre et maintenir leur tête pour qu’ils gobent et expient leurs passions meurtrières à travers le déchaînement fou d’un Néron, d’une Hermione ou encore d’une Médée sur scène, rien n’y fait. Ils sont « possédés » par une colère originelle qui ne faiblit pas et ils détruisent tout sur leur passage.

LA VIOLENCE TUE PLUS VITE QUE LE VIRUS

Si je vous disais que la société a commencé à mourir bien avant l’arrivée du Covid, me croiriez-vous ?

Quand je constate qu’il existe bon nombre de pays où les femmes sont encore traitées comme des marchandises qu’on vend en mariage à des hommes odieux qui ont plus du double de leur âge ; que la violence physique et le viol sont monnaie courante dans les pays rongés par la guerre et la corruption ; qu’on frappe femmes et enfants sous l’effet de la drogue, de l’alcool, de la folie dans les nations dites « éclairées » ; qu’on vend le corps de la femme en marketing à consommer tout de suite et à volonté sur les chaînes TV, les réseaux et sites web ; qu’on prend note distraitement d’une plainte pour violence, abus et manipulation psychologiques déposée par une femme dite « névrosée » (c’est tellement plus commode), je me demande quand on donnera un nom et un vaccin à ce fléau.

Aujourd’hui, permettez-moi de dire que ce fléau à un nom : c’est la Mort, la mort de l’humanité programmée dans nos sociétés si friandes de statistiques. Quand on accepte la violence comme une nouvelle forme d’amour passionnel dans les films et séries à la mode, quand le bourreau devient un héros, quand la violence est le moteur de l’entreprise du jeu vidéo, quand les enfants naissent dans des foyers explosés, vides et toxiques, quand les femmes courent sans réfléchir pour devenir des « gros durs », quand on exploite son corps et celui de l’autre comme une pure machine du désir, quand le caprice est devenu l’éthique et l’écran la seule relation humaine, je ne m’étonne plus que l’humain soit en voie d’extinction.

Oh ! Je sais bien, on va me rire au nez ou pire me détester et m’insulter (toujours très courageux les commentaires orduriers anonymes) pour ces propos alarmistes. Et si le virus qui ravage la planète n’était qu’une manifestation extérieure d’une société malade et pourrie de l’intérieur ?

LA LOI DU SILENCE

Chères amies, rien ne vous oblige à suivre le schéma destructeur que le monde vous tend comme la seule voie « à la mode » ! Personne ne vous tient écrasées sous la coupole d’un homme violent et foncièrement faible, si ce n’est votre peur d’être seules, votre peur de parler, votre peur d’exister. Personne ne peut être votre meilleure amie à part vous-mêmes.

Imaginez un court instant que vous vous regardiez à distance. Observez cette femme immobile et muette sous les paroles tranchantes et destructrices d’un connard, un vrai. N’auriez-vous pas envie de vous précipiter pour arracher cette femme aux griffes de ce minable pervers ? Vous feriez tout pour trouver à cette femme un travail, un logement, un psychologue, un avocat, un parent.

Cette femme, c’est vous et cet ami providentiel, c’est également vous. Vous seules pouvaient décider de dire « Non ! », « Ça suffit », puis de partir pour de bon, sans jeter un regard en arrière. Je sais combien notre société est lente et dysfonctionnelle pour ce qui est de protéger l’humain des maltraitances physiques et psychologiques. La loi du silence est partout de mise.

L’AMOUR DE L’UNIVERS

Mais je connais également cette grande vérité :

« Quand tu veux quelque chose, tout l’Univers conspire à te permettre de réaliser ton désir. »

Paulo Coelho, L’Alchimiste (1988)

L’univers peut bien s’être réduit à votre pupille noire, si noire, brouillée de larmes aigres et chaudes, rien n’est encore perdu. Lui qui a promis qu’Il « essuiera toutes larmes de leurs yeux, et la mort ne sera plus ; et il n’y aura plus ni deuil, ni cri, ni travail ; car les premières choses sont passées » (Apocalypse 21 : 4) conspirera à votre délivrance…

J’ai entendu vos plaintes, j’ai pleuré avec vous, j’ai prié pour vous et de cette lutte est sortie Starry, Starry Night, mon roman, ma voix et la vôtre. Si le confinement resserre et cimente les murs de votre prison domestique, soyez pour vous-mêmes cette amie qui tend la main tout le jour, qui donne de l’amour à chaque inspiration, qui réduit la cellule en cendre et qui croit à votre guérison.

Mon roman parle de vous et pour vous. Quand bien même vous ne pourriez plus briser votre miroir de désolation, relever votre corps ramassé sur le tapis d’une salle de bain sordide, dire « assez ! » et partir, je serais là tout près de vous, à vous répéter que vous êtes tellement plus que ce que vous croyez être aujourd’hui, que vous n’êtes pas seules, non jamais.

« Pourtant, elle continue de l’attendre, affamée de son amour qu’il reporte indéfiniment au lendemain.

Il dit qu’elle l’a trahi en parlant de l’argent à ses parents, il dit qu’il ne veut plus rien d’elle, il dit qu’elle n’est qu’une enfant. Il l’a dit une fois par la bouche et il le respire continuellement par les yeux. Elle est méprisable, elle n’est rien tant qu’il n’a pas décidé qu’elle est assez punie. Il la punit par ses silences, il l’ignore, il s’enferme dans sa chambre pendant des heures jusqu’à ce qu’elle comprenne la leçon. Et cela dure depuis des jours. »

Lise Paty, Starry, Starry Night (2019)

STARRY, STARRY NIGHT

Il est temps de parler, il est temps d’en parler…

Il est temps d’affirmer que le dicton pseudo-amoureux « Je t’aime un peu, pas du tout, à la folie » n’est qu’un odieux mensonge. Nous femmes croyons longtemps et à tort que le seul amour qui existe soit celui de l’homme dit « providentiel », celui qu’il daigne nous donner entre deux contrariétés, entre deux mots et gestes violents et nous restons là pendues à ses oscillations émotionnelles. La maltraitance fonctionne tant qu’elle fait vibrer la mélodie plaintive de nos cordes intérieures : c’est un air vaguement familier, une rengaine qui nous assourdit depuis l’enfance et qui a enveloppé notre cœur d’épaisses ténèbres.

Pourquoi cela nous arrive-t-il à nous ? Qu’est-ce qu’on a bien pu faire pour mériter ça, hein ? Rien du tout. C’est ce monde malade qui a produit des bourreaux incurables qui ont reniflé notre désespoir pour y planter leurs crocs empoisonnés. Au début, le bourreau dit nous aimer à la folie, puis un peu moins et parfois pas du tout. Pourquoi ? Qu’est-ce qu’on a fait ? Rien. C’est lui qui n’aime rien d’autre que lui-même. Éternellement vide, il s’est branché sur notre cœur déjà bien abîmé pour pomper, pomper le sang, l’oxygène, la vie… Plus il se sent fort, plus nous mourons. Oui c’est bien cela la maltraitance et moi, je l’ai en horreur !

Cependant, je suis lucide ; aujourd’hui, je n’ai aucun pouvoir pour vous libérer de votre prison domestique. Vous seules détenez les clefs. Je sais que ça sera difficile, je ne vais pas vous mentir, vous allez encore et beaucoup pleurer, mais demain le soleil brillera de nouveau.

Un soir, il y a quelques années, allongée dans l’herbe humide, je me suis perdue dans un ciel étoilé et j’ai prié pour ma délivrance, pour la vôtre, pour celle de toutes les femmes. J’ai découvert l’Amour de l’Univers dont parle Paulo Coelho : cet Amour crée, donne, guérit, sauve. C’est le premier amour à rechercher avant celui de tout homme imparfait. Seul cet Amour ramène à la vie un cœur brisé et mourant.

« Donne-moi un cœur nouveau, un cœur tendre, un cœur de femme… »

N’est-ce pas ce que la Samaritaine, Marthe et sa sœur Marie, Marie de Magdala, la femme adultère, la femme affligée d’une perte de sang et toutes les autres ont demandé au Christ quand elles sont allées à sa rencontre ? Il les a toutes guéries, aimées et sauvées. Il fera de même pour vous.

Laissez-moi glisser sous la porte de votre habitation sans nom mon espoir, mon roman, pour que vous teniez un jour de plus, puis encore un autre, avant de retrouver l’air chaud et parfumé de l’été, libres, sous un ciel étoilé ou au bord d’une plage désertée.

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Starry, Starry Night est disponible en version papier et e-book sur le site de mon éditeur :

Starry, Starry Night

sur Amazon :

sur la Fnac :

https://livre.fnac.com/a13681093/Lise-Paty-Starry-starry-night

sur Cultura :

https://www.cultura.com/starry-starry-night-9791032630464.html

ET L’HOMME S’EN RETOURNA À LA CAVERNE…

16 AVRIL 2020

CONFINEMENT : SEMAINE 5

Ou quand la Caverne confortable est devenue une Prison blindée

On tient un bon titre pour lancer une allégorie de la condition humaine : Le Vieil Homme et la Mer disait Ernest Hemingway, aujourd’hui, je dirais plutôt L’Homme et la Caverne, et dans quelques semaines : Le Vieil Homme et la Caverne. De quoi s’agit-il ?

C’est une épopée très XXIe siècle : l’Homme habite sa caverne ou sa solitude par désir d’absolu, et surtout de silence… Non il ne se jette plus à la poursuite d’un monstre des mers de l’Ancien Monde pour remplir son estomac affamé ; non il ne choisit plus le Grand Bleu comme compagne fidèle et confidente de ses tourments ; non il n’est plus dans une barque mais une caverne ; non il ne chasse plus le mammifère marin mais bien la femme.

Vous l’aurez compris, l’Homme avec un grand H ce sont les hommes éternellement sur les sites de rencontre(s), mais éternellement célibataires, éternellement aux études, éternellement en formation, éternellement en CDD, éternellement instables, éternellement seuls… Eh oui, le mot est vif, ça fait mal, mais j’ai promis de ne dire que la vérité, toute la vérité et encore la vérité.

LE RETOUR À LA CAVERNE

Pour faire simple, je les appelle les Hommes des Cavernes, car ce sont ceux qui ont choisi délibérément de retourner à leurs chaînes après avoir été éclairés par le Savoir, l’Intelligence (du moins on l’espère), la Sagesse (la… quoi?), la Sociabilité présents à la surface. C’est théorique, parce que certains n’ont pas toujours la chance d’être bien et assez longtemps « éclairés ». Mais passons. Platon n’avait pas vu les hommes du XXIe siècle venir. Comment aurait-il pu imaginer qu’une armée de geeks (nouvelle dénomination pour « gnomes », oui, c’est plus smart) élaboreraient des cavités, des tunnels, des fourmilières bien solides et bien connectées pour fuir la lumière aveuglante du monde réel ?

La Renaissance et l’Humanisme ont éclairé et changé l’humanité et pourtant, nos petits bonshommes se sentent plus à leur aise dans les ténèbres des entrailles de la Terre, avec pour seule lumière, non plus le feu des premiers hommes (les plats préparés réchauffés, ça va quand même plus vite que la chasse et la pêche), mais l’écran tactile de ces engins électroniques.

confinÉ dans la caverne

Cependant, le confinement a bouleversé tous les paramètres de cette vie recluse bien huilée. L’Homme de la Caverne ne peut plus remonter à la surface quand la batterie du portable est déchargée, quand les désirs du corps se font sentir, quand il faut aller travailler (de temps en temps), quand un besoin fou de voyager solo lui prend, et ainsi de suite…

Il est bel et bien enchaîné à son trou infâme et glauque pour une durée indéterminée et tout à coup, l’Homme de la Caverne ne trouve plus son insouciance passée drôle, mais alors plus drôle du tout. Après avoir écoulé toutes les séries Netflix possibles (de préférence, les plus abrutissantes pour éviter de penser), l’Homme de la Caverne donnerait tout ce qu’il possède (ou possèdera, parce que là, tout de suite, il n’a pas grand chose) pour devenir le pêcheur d’Hemingway et partir ainsi à l’aventure sur les mers chaudes et froides, bref mourir avec panache et non pas en mode loqueteux.

L’Homme de la Caverne commence à tout jeter contre les parois humides de la grotte, il crie, il hurle, il pleure et il finit par comprendre que oui, enfin, c’est pas trop tôt la lucidité, il est SEUL, complètement seul et peut-être pour toujours (du moins pour les quatre, cinq, six… bon bon j’arrête… semaines).

Deux options se présentent à lui :

1)S’écorcher la main et repeindre son ballon de foot en Wilson (ben ouais, s’il a sauvé Tom Hanks de la folie et de la noyade, encore que… il devrait le sauver de la dépression

2)Éveiller Aurora de son hibernation, car quitte à pourrir dans la Caverne, mieux vaut pourrir à deux (c’est très charitable ça, hein ? Normal, c’est un homme, oups que je suis méchante!)

Qui est Aurora ? Vous ne connaissez pas ? Petite vidéo explicative ci-dessous.

Avant ça, « résumé » : alors, voilà, Jim Preston est réveillé 80 ou 90 ans trop tôt de son hibernation spatiale dû à un dysfonctionnement du vaisseau. Il fait voile avec d’autres terriens bien endormis, eux, vers une nouvelle planète-test, mais découvre avec horreur que maintenant qu’il ne peut plus faire « rompiche » dans sa capsule, il ne verra pas grand chose de cette nouvelle vie interstellaire. Il tient un an et trois mois (il est fort le gars) tout seul, il dort, il mange, il déprime, il dort, il… bon vous l’aurez compris. Et alors qu’il est à deux doigts de mettre fin à ses jours, il tombe sur le visage endormi d’Aurora, une femme brillante, belle… bref, la femme de ses rêves et déclic ! Il lutte contre lui-même, mais n’y tenant plus, il la sort de son hibernation et la condamne ainsi à vivre et à mourir avec lui au milieu de la galaxie.

CRISE SENTIMENTALE

Vous pensez que je délire avec mon allusion au film Passengers, n’est-ce pas ?

Eh bien non. Absolument pas. Plus les semaines passent, plus mes connaissances et amis hommes sont au comble du désespoir dans leur caverne, oups ! studio. Ils n’en peuvent plus. Leur grand rêve de liberté infinie, leur conception du mariage comme une prison dorée, leur égoïsme endémique, plus rien ne tient ! Ils sont prêts à réveiller/épousailler n’importe quelle fille demain, si seulement en bas du contrat de mariage est inscrite, en tout petits caractères, la mention :

« s’engage à descendre dans la Caverne pour une durée indéterminée et ce pour tous les confinements jusqu’à la fin des temps… »

Ça fait peur, hein ?

Le confinement nous embellit Mesdames. Je ne sais pas vous, mais moi, je suis passée de la nana trop intellectuelle, sur-qualifiée, trop passionnée, trop « bien » (ah cet adjectif-là, je me le suis tartiné des décennies et je n’ai jamais osé répondre au gus « c’est probablement parce que tu es trop… faible, nase… oui, enfin t’as compris l’idée) à la plus belle, délicieuse, douce des femmes.

L’Homme de la Caverne, il vaseline, il vaseline. J’ai ma théorie là-dessus : je le soupçonne d’avoir fait une liste d’adjectifs passe-partout sur les murs de sa Caverne et tandis qu’il tapote son Iphone, il choisit, il varie, il reprend, essayant, tant bien que mal, d’être le plus crédible possible. Le geek a passé une formation accélérée de « je parle comme Cyrano », cependant, il a oublié qu’on n’apprend pas tout sur le Net et donc, quand la fille lui demande « Brodez, brodez… », ça finit en mode « Christian panique », c’est-à-dire :

Après avoir tenté de nous prendre pour des sottes, l’Homme de la Caverne commence à comprendre que la femme, cette créature mystérieuse, capricieuse, insaisissable qui reste pour lui, sans nul doute, le plus grand mystère de l’Univers, a besoin d’autre chose que des compliments mielleux (mon dernier en date est « Hello, gorgeous », le type, on se connaît à peine et hop ! je suis déjà « gorgeous », rien que ça ! Rappel : ne jamais commencer par le compliment le plus fort, ce qui suit ne peut être que fade, récité et désamour).

Donc sa dernière stratégie consiste à réveiller l’instinct maternel de la femme. Logique, il ne peut pas l’épater par un bon resto, un bon ciné, un bon apéro, tout ça faut mettre un trait dessus avec la distanciation sociale. Alors, il choisit de parler de ses gros malheurs, pour qu’elle compatisse avant d’être tentée de le dorloter.

« Je suis seul, je suis triste, je suis enfermé, je ne suis pas encore malade, mais qui sait ? »

Arrêt sur image. L’Homme de la Caverne, il joue à quoi là ? Il m’a prise pour Florence Nightingale ? Il croit sérieusement que j’ai envie de le consoler et de le moucher avec de le border pour une bonne nuit de sommeil ? Non, parce qu’il me dit ça à 00h02. Moi, j’ai cru qu’il était un peu plus malin que les autres. Je lui rappelle gentiment que c’est Cyrano qui console et parle d’âme à âme à Roxane sous sa fenêtre et pas l’inverse !

Vous me direz, c’est mon problème… Je suis un peu comme Bathsheba Everdene dans Far From The Madding Crowd :

« I’ve grown accustomed to being on my own. Some say even too accustomed. Too independent. »

Qu’en est-il de la Caverne ? Navrée, mais j’ai déjà mon propre piano, comme aurait répondu n’importe quelle femme du XIXe siècle et mon appartement, comme répondrait n’importe quelle femme du XXIe siècle. On imagine toujours que le vrai amour entre un homme et une femme, ce n’est ni le manque, ni le besoin égoïste, ni la peur de la solitude, ni le mimétisme social. Peut-être faudrait-il que l’Homme de la Caverne commence à se respecter et à s’aimer avant de pouvoir aimer vraiment et pour longtemps. Probable que c’est vieux jeu, idéaliste, dépassé tout ça, probable, mais moi j’y crois et si je considère ce monde usé et malade dans lequel on vit, la consommation de l’autre et de tout n’a pas vraiment réussi ni aux semblants de « familles » ni à la Terre qui se sent maltraitée et déjà condamnée.

Je me prends à rêver que le confinement va produire l’Homme nouveau, celui qui renaît de ses cendres originelles. Je rêve, c’est insensé, je ferme les yeux, et si c’était vrai ?

DEUIL

17 MARS 2020

Why is all this stuff coming up again now ?

I know what they would say, all the old-timers at this Ashram. They would say this is perfectly normal, that everyone goes through this, that intense meditation brings everything up, that you’re just clearing out all your residual demons… but I’m in such an emotional state I can’t stand it and I don’t want to hear anyone’s hippie theories. I recognize that everything is coming up, thank you very much. Like vomit it’s coming up.

Somehow I manage to fall asleep again, lucky me, and I have another dream. No snakes this time, but a rangy, evil dog who chases me and says, « I will kill you. I will kill you and eat you ! »

I wake up crying and shaking. I don’t want to disturb my roommates, so I go hide in the bathroom. The bathroom, always the bathroom ! Heaven help me, but there I am in a bathroom again, in the middle of the night again, weeping my heart out on the floor in loneliness. Oh, cold world – I have grown so weary of and all your horrible bathrooms.

When the crying doesn’t stop, I go get myself a notebook and a pen (last refuge of a scoundrel) and I sit once more beside the toilet. I open to a blank page and scrawl my now-familiar plea of desperation :

« I NEED YOUR HELP. »

Then a long exhale of relief comes as, in my own handwriting, my own constant friend (who is it ?) commences loyally to my own rescue :

« I’m right here. It’s OK. I love you. I will never leave you… »

Elizabeth Gilbert, Eat, Pray, Love (2006)

« BATHROOM SERIES »

Vous connaissez vous aussi ces épisodes larmoyants que je nommerai désormais les bathroom series. J’avoue que je ne comprends pas non plus pourquoi ces lieux étriqués deviennent l’habitacle de nos drames intimes, le déversoir de nos passions incontrôlables et le refuge de notre âme qui menace de s’enfuir dans les ténèbres.

On représente Judy Garland allongée sur le sol, aux pieds de la baignoire, sanglotant après un show raté à Londres dans son biopic Judy récemment sorti au cinéma. Son homme du moment, Mickey Deans, la sermonne derrière la porte, mais elle n’entend qu’un vague murmure, car ses oreilles bourdonnent de sa douleur qui l’étouffe depuis des années.

Nous connaissons toutes nos heures sombres. Nulle n’est épargnée. Je pense que lorsque les murs invisibles de notre vie semblent s’effrondrer, nous cherchons refuge dans un lieu plus étroit que nous pouvons appréhender, alors même que tout le reste nous échappe. La salle de bain est le sanctuaire de l’intime, ce que nous ne montrons à personne et qui, éclairé à la lumière tranchante tombant du miroir, ne peut être ni nié ni caché.

« I NEED YOUR HELP »

Cette supplication de Liz Gilbert m’est tout à fait familière. C’est une réalité partagée par toutes celles qui acceptent la fin de quelque chose et le début de l’inconnu. Cette zone intermédiaire qui rapproche deux univers si étrangers, l’Avant et l’Après, je l’appelle : « la zone du deuil ».

Je suis tellement frustrée que cette période enveloppée dans les voiles sombres de la veuve soit si mal définie et comprise. Il faut que vous perdiez l’homme de votre vie, un parent, un enfant, que sais-je encore, pour qu’on vous accorde le statut de « veuve ».

Autrefois, les veuves étaient des marginales : celles à qui il manque quelque chose, celles qui ne sont plus tout à fait entières, les femmes émotionnellement et matériellement amputées, les inclassables. Alors, pour ne pas être totalement mises au ban de la société, les veuves faisaient vœu de porter le noir pendant des mois, une année, des années, toute une vie…

Le noir qui teignait leurs robes, leurs chapeaux et leurs voiles accentuait la blancheur diaphane de leur visage : elles étaient l’incarnation de la douleur et le rappel que la mort menace tout être humain. Mais c’est également le noir qui protégeait les veuves des moqueries et insultes habituelles. Souvent, elles perdaient presque tout leur confort matériel, mais il leur restait la dignité.

J’en déduis qu’être veuve, c’est perdre quelqu’un pour toujours, et donc, nécessairement, perdre sa vie d’avant pour entrer dans une zone floue qui n’existe pas dans nos sociétés bien huilées. On se définit toujours par ce qu’on fait, ce qu’on possède, où et avec qui l’on vit. On peut ainsi se définir autant par l’abondance que par la perte.

Mais qu’en est-il de nous autres qui nous définissons autrement ? Celles qui se définissent par ce qu’elles sont et ne sont plus ? « I need your help », je ne sais plus qui je suis, ni même ce que je veux, je ne sais plus, avant je croyais savoir, mais c’est fini, commence mon deuil…

L’ART DE PERDRE

Peu d’individus acceptent ce dépouillement existentiel. Ils se réconfortent et calment leurs angoisses en tapotant les murs de leur nouvelle maison, la carrosserie brillante de leur voiture et l’épaule de leur enfant. Ils ont, donc ils sont… Ils ne sont pas voués au néant parce qu’ils se sont matérialisés dans ce qu’ils croient leur appartenir.

La vérité est que nous ne possédons rien sur cette terre, pas même nous-mêmes. Nous voyageons année après année, mais rien ne nous appartient. Nous empruntons une maison, une voiture, l’amour d’un enfant sorti de nous, mais tout cela appartient à la Vie, à la Création, tout comme nous-mêmes.

Pratiquons enfin « l’art de perdre » dont parle Alice Howland atteinte d’Alzheimer précoce (Still Alice, 2015) : elle qui ne peut rien garder dans l’avenir de son passé, ne peut rien vivre d’autre que le présent et dans ce présent où vit sa conscience fugace, elle fait déjà le deuil de ce qu’elle oubliera fatalement.

Si nous perdions quelqu’un, ce serait plus facile pour les autres de reconnaître notre douleur. Mais tant que nous ne portons pas l’épais voile du deuil, rien n’a changé pour eux. Alors nous sommes seules à savoir que nous sommes temporairement amputées de quelqu’un qui a beaucoup compté, d’un homme qui était la jauge et le contrepoids de nous-mêmes.

Il est parti, nous l’avons abandonné au passé, cependant, il n’est pas mort, donc nous ne sommes pas en deuil. Ces circonstances sont probablement les deuils les plus douloureux que nous puissions connaître. Difficile de lutter contre le souvenir d’un vivant !

« CLEARING OUT »

La langue anglaise a le génie d’ajouter après les verbes ces prépositions kinesthésiques quasiment intraduisibles : « to clear out ». Le travail de deuil consiste à sortir et jeter hors de soi, donc « to clear out » ou extirper, nos vieux démons bien enracinés.

Nous avons besoin, comme le rappelle ce bon Richard from Texas à Liz Gilbert, de rencontrer certaines personnes avec qui nous vivons tout un tas d’expériences pour secouer ici et là nos bons vieux démons endormis avant de les faire sortir pour de bon.

Il y a cet homme, en particulier, qui est notre miroir grossissant, celui qui titille nos démons blessés jusqu’à les faire rugir. Ça y est ! Il les a libérés, nos Titans enchaînés dans les enfers d’Hadès sont bel et bien remontés à la surface, plus rapidement qu’Orphée, et ils vont tout ravager !

Si cet homme est notre catalyseur, il n’est pas destiné à rester à nos côtés, non, nos Titans en colère vont bien vite le chasser. Mais voilà, notre homme a tout réveillé et aucune marche arrière n’est possible. On se retrouve à vomir nos démons sur le tapis de la salle de bain, seules, la nuit…

DOUBLE DEUIL

Le deuil a commencé et mon cœur est lourd et froid comme une tombe. Comme Liz Gilbert, je n’ai pas compris ce qu’il m’arrivait et pourquoi à moi et pas aux autres. J’avais la gorge continuellement serrée et je m’obstinais à garder le front haut comme les veuves d’autrefois.

On nous apprend que la souffrance doit être combattue par la volonté, que pleurer et s’écouter est une faiblesse et qu’enfin, on doit tous jouer à « comme si de rien n’était » sans broncher. Pas étonnant qu’on finisse sept nuits par semaine penchées sur la baignoire, attendant une réponse et priant pour attraper au vol une lueur d’espoir.

-Your problem is, you just can’t let this one go. It’s over. […] You’re like a dog at the dump, baby – you’re just lickin’ at an empty tin can, trying to get more nutrition out of it. And if you’re not careful, that can’s gonna get stuck on your snout forever and make your life miserable. So drop it. [Richard from Texas]

-But I love him. [Liz]

-So love him.

-But I miss him.

-So miss him. Send him some love and light every time you think about him, and then drop it.

Elizabeth Gilbert, Eat, Pray, Love (2006)

Aujourd’hui, je vois le deuil comme une chance unique de découvrir la femme que nous sommes et ce que nous attendons réellement de la vie. Nous sommes si nombreuses à vivre des années et parfois toute une vie sur « pilote automatique », choisissant et aimant à partir de fausses croyances sur nous-mêmes et de blessures inavouées. Tout est alors biaisé, tout sonne faux et, le temps passant, rien ne nous rend heureuses.

Le deuil de l’homme qui nous a désertées par la mort, la lâcheté ou la violence, c’est avant tout le deuil de ce faux-self que nous avons collé à notre âme, comme la bride étouffe le cheval sauvage. Faire le deuil, c’est embrasser la solitude qui seule peut enfanter Dieu…

« I’M RIGHT HERE. IT’S OK. »

Vous avez probablement l’impression, comme moi, que personne n’a jamais considéré et même accepté de considérer votre deuil. On vous a trouvées « bizarres » dès les premiers signes de changement, « fermées » quand tout d’un coup on s’intéressait à votre douleur et « hostiles » quand on ne cessait de répéter que votre ex n’était qu’un pauvre nase et vous, par extension, bêtes et naïves de n’avoir rien vu (je l’accorde, c’est le silence pesant que je verbalise ainsi et qui suit inévitablement le « quel pauvre nul ton ex ! »).

À choisir, je vote pour l’indifférence plutôt que pour les constats étroits et stériles sur mon « homme d’avant ». Pourquoi rougir et ruminer une relation qui devait manifestement faire partie de votre plan de vie ? Plus longtemps vous laissez les autres vous rappeler ce qu’ils considèrent être vos « mauvais choix », plus lointaine sera la guérison du deuil.

Brandissez votre voile noir comme un drapeau de « cessez le feu » et faites taire pour de bon vos fâcheux ! Ils ne savent pas vous accorder de la compassion, c’est un fait, par conséquent, ils n’ont tout simplement rien à dire, aucune voix au chapitre.

Ne craignez pas d’être seules un temps, quelques années ; vous savez bien que le deuil peut être long pour certaines et que s’engager rapidement dans une nouvelle relation vous conduira au même type d’homme, au même mur, jusqu’à agrandir démesurément votre blessure. Le temps vient à bout de tout, m’a-t-on dit. Voilà une grande leçon à retenir.

If you clear out all that space in your mind that you’re using right now to obsess about this guy, you’ll have a vacuum there, an open spot – a doorway. And guess what the universe will do with that doorway ? It will rush in – God will rush in – and fill you with more love than you ever dreamed. So stop using David to block that door. LET IT GO. [Richard from Texas]

Elizabeth Gilbert, Eat, Pray, Love (2006)

J’ai une confession à faire : je suis carrément fan du fameux Richard from Texas. Quelle clairvoyance ! Quelle leçon de vie ! Ces pages m’ont changée et cette autobiographie initiatique de Liz Gilbert est en train de me changer. « Let it go », c’est bien ce que je me répète chaque matin, c’est la phrase-clef de tout deuil et de tout changement durable.

Lâchez prise, cessez de ruminer éternellement le passé qui a tendance à déformer votre histoire pour la rendre plus accablante ou séduisante selon votre humeur de la soirée, enterrez le souvenir de votre homme pour de bon et faites place à la Grâce.

Je suis reconnaissante que mon deuil ait ouvert une porte dont je ne soupçonnais pas l’existence. J’ai arraché les ronces ensorcelées à mains nues et je me suis moi-même réveillée d’un long sommeil. Il m’arrive de penser encore à lui, je ferme les yeux et suivant le conseil de Richard je lui envoie de l’amour et de la lumière avant de le laisser partir « for good ». Comme pour me remercier d’avoir fait la paix avec lui, l’Univers insuffle par ma porte (dégagée et toujours ouverte) tout l’amour que mon âme est capable de contenir et je souris, un grand et beau sourire à Dieu et à moi-même, il est rare que d’autres y prêtent attention, mais qu’importe.

LISE

FASCINATION

12 FÉVRIER 2020

On pourrait croire que je me prépare à faire un remake de la trilogie de Stephenie Meyer, je vous rassure, il n’en est rien, encore que…

Dernièrement, alors que je zappais négligemment jusqu’à faire exploser « mon bouquet TV », un samedi soir, je suis tombée sur une émission bien connue qui fait passer pendant des semaines des auditions « à l’aveugle » pour débusquer non pas un, mais pléthore de talents, défendant la fameuse devise « Tout le monde peut-être un(e) chanteur(se) », ou encore « J’aurais voulu être un(e) artiste… » mais ça ne paye pas, c’est juste too late, mon gars !

Où en étais-je ? Ah oui, donc, la fille débarque sur le plateau, mais avant ça fait une rapide review de sa vie, une bande d’annonce en retard, quoi ! Ah ! cette génération d’influenceuces, de YouTubeuses, quel ego ! Bref, la fille se présente et justifie sa présence à l’émission de cette façon : « Je veux montrer, ce soir, qu’on peut ne pas être une victime toute sa vie ». What ? Tu débarques sur un plateau blindé, sous les projecteurs et devant des millions de spectateurs tu déclares de but en blanc que tu as subi des maltraitances dans ton enfance, puis tu hurles le « Je t’aime » de Lara Fabian.

Vous allez me trouver dure, une fois encore, mais où est partie toute la décence du monde ? Cela confirme mon analyse précédente des Millennials comme d’une génération qui ne sait pas faire la différence entre privé et public. J’irais même plus loin. La jeunesse croit aujourd’hui dur comme fer que pour retenir l’attention, être écoutée, gagner l’amour et donc se définir, il faut se convertir en victime, déchirer sa chemise et montrer toutes ses cicatrices : « Regardez, là, on m’a cogné(e), là, on m’a humilié(e), là on m’a tiré(e) par les cheveux, là, on m’a abusé(e)… »

Je sais bien qu’on a œuvré pendant des décennies pour délier les langues, faire parler les femmes maltraitées, les enfants victimes de sévices, les hommes humiliés, mais n’a-t-on pas ouvert une autre boîte de Pandore ?

Je m’explique. Une image vaut mieux qu’un long texte. Les médias le savent pertinemment et se nourrissent de ces témoignages filmés, de cette mise à nu permanente qui est censée faire avancer la législation, rompre le silence et surtout, il faut bien le reconnaître, faire vendre, faire monter l’audimat.

Alors ma question est toute simple : est-ce qu’on se nourrit, au XXIe siècle, du malheur des autres ? Est-ce qu’on renifle leurs blessures comme des vautours ? Est-ce qu’on est fasciné par la violence et la manipulation ? Être victime est-il plus vendeur qu’être fort et digne ?

S’il ne s’agissait que de paroles lancées sans réfléchir sur un plateau télé, la situation serait bien moins préoccupante. Il y a une contradiction pernicieuse soulevée par les associations féministes et les organisations de défense de femmes victimes d’abus : d’un côté, les affaires d’abus sexuels dans les domaines du sport, du cinéma, du théâtre ne cessent de nous exploser en pleine figure, chaque mois, dès que nous nous intéressons à l’actualité ; de l’autre, on multiplie les films et séries construits autour d’une relation toxique et on fait passer ça pour de l’amour !

On multiplie les films et séries construits autour d’une relation toxique et on fait passer ça pour de l’amour !

Certes, il est normal et attendu que la justice prenne au sérieux les révélations de femmes abusées dans leur jeunesse par des réalisateurs, des coachs, etc. Une fois encore on constate la force de cette solidarité féminine qui pousse une langue à se délier, puis une autre et une autre. Le courage de la première finit par gagner toutes les suivantes et c’est une avancée considérable pour la cause des femmes qui ne sont pas des objets de consommation, mais les maîtresses de leur âme et de leur corps.

Cependant, je condamne les journalistes et le showbiz qui se nourrissent de ces « affaires » malheureuses pour accrocher le grand public à la fange d’actes innommables qui font bien vendre ! Les victimes restent des victimes et ne seront plus connues à l’avenir que comme des victimes… C’est bien toute la réparation qu’on leur donne. On dilapide ainsi le nom comme autrefois d’autres ont dilapidé le corps et l’âme ! Je suis outrée !

Vous savez ce qui se passe quand une femme se rend au commissariat immédiatement après un viol, ou une tentative de viol : une fois les formalités, la déposition remplies, il est fréquent que la femme se rende à l’hôpital pour procéder à des examens médicaux évaluant les marques et séquelles du viol. Imaginez l’état de cette femme. La salle d’examen ne tarde pas à devenir une véritable chambre froide, une antichambre de la mort, parce que, oui quelque chose est mort en elle, n’importe quelle femme violée vous le dira. Objet inanimé, son corps est raide ou tremblant, les larmes coulent ou ne coulent pas, son cauchemar continue…

Alors, par respect pour toutes ces femmes dont le corps, l’âme et la vie ont été souillés par un homme vil, faible et immonde, laissons leur immense douleur reposer dans le dossier jaunâtre et l’oreille discrète des infirmières. Il faut que le bourreau soit jugé et puni, c’est évident, car il a en va du destin d’autres femmes. Mais j’ai bien envie de hurler quand je constate que, d’un coup de baguette magique le cinéma, Netflix, la télévision font endosser au bourreau le rôle du héros, à la victime celle de la femme amoureuse et soumise et à l’abus sexuel et émotionnel celui de l’Amour, avec un grand A.

Ça vient de sortir sur Netflix, une série en vingt épisodes, consacrée à une sorte de pervers narcissique et à sa victime : You. Ou bien la sulfureuse trilogie adaptée des romans de la britannique E. L. James par la réalisatrice Sam Taylor Johnson : Cinquante nuances de Grey, on va du sombre au plus clair, on n’y comprend rien, tellement c’est à vomir. Le plus honteux dans cette affaire, c’est que ce sont des femmes qui sont à l’origine de ce tas d’immondices, comme quoi on est capable du meilleur, comme du pire.

Dans un cas comme dans l’autre, la bande d’annonce m’a suffi, car je ne pourrai jamais, moralement, cautionner ces productions infâmes. Oui, ce sont bien nos Millennials qui sont les premières cibles de ces intrigues passionnelles débridées et mensongères. À une époque où le mot, la notion d’ « amour » est tellement galvaudée, où les parents laissent aux enfants et adolescents le soin de découvrir la sexualité par les séries, la pornographie et les vidéos suggestives concoctées dans un coin du collège ou dans une maison-fantôme vidée de parents toujours trop occupés, de morale et de repères existentiels, ces productions au départ doucereuses, puis terriblement érotiques, trouvent leur public.

Avec 365 221 entrées en France, Cinquante nuances de Grey est considéré comme le plus gros démarrage de l’année 2015. Alors on ne s’arrête pas là, bien sûr, si on peut continuer de se faire de l’argent sur le mensonge, le sexe, la manipulation et les abus, allons-y, Mesdames des studios ! Et ACTION…

Les associations féministes ont appelé au boycott du film avec la campagne #50dollarsnot50shades, autrement dit faites don de 50 dollars à une œuvre caritative destinée à aider les femmes victimes de relations abusives « comme celle que le film veut rendre glamour », plutôt que « de les dépenser en places de cinéma, baby-sitter, popcorn et boissons ». On dénonce alors « l’abus, la violence et les rapports sexuels sadiques », on montre combien les dialogues du film sont dangereux. J’en veux pour preuve la menace verbale faite par le riche bourreau – Christian Grey – à l’ingénue étudiante – Anastasia Steele : « Il fait très froid en Alaska et il n’y a nulle part où courir. Je te trouverai. Je peux tracer ton portable, tu te souviens ? »

Cette campagne est presque passée sous silence, une goutte d’eau dans la marée humaine déferlant dans les salles de cinéma. Il est alarmant de constater que nombreuses sont les adolescentes qui considèrent la relation sadomasochiste de Cinquante nuances de Grey comme un horizon d’attente. La violence sexuelle ainsi idéalisée, il n’est pas étonnant que ces mêmes adolescentes se plient au chantage malsain de camarades, amis FB ou followers leur demandant de se dévêtir devant l’objectif pour gagner quoi ? Quand allons-nous réagir ? Autrefois, on taisait tout, par peur des représailles, du bannissement social ; aujourd’hui on déballe tout et on transforme la perversion, la manipulation et l’abus sexuel en amour suprême.

Il est alarmant de constater que nombreuses sont les adolescentes qui considèrent la relation sadomasochiste de Cinquante nuances de Grey comme un horizon d’attente.

Les parents courent à la carrière et à une hypothétique reconnaissance sociale et le Ministère de l’Éducation n’a rien trouvé de mieux que d’enfermer les adolescents de quatorze ans dans une salle de classe avec une infirmière et une psychologue particulièrement incompétentes pour refaire leur éducation sexuelle qui se résume souvent à : « Écoutez, les enfants, un garçon est une fille et une fille est un garçon », puis s’en suit une liste interminable des pratiques sexuelles en tous genres, héritées de ces mêmes films et séries érotiques. Une fois le topos terminé, il reste bien quinze minutes avant la sonnerie, alors on la joue franc jeu : « Qui d’entre vous a un(e) copain(ine) ? Qui sait comment mettre un préservatif ? Qui a déjà eu des relations sexuelles ? » J’arrête là le catalogue de la bêtise éducative, c’est déjà lourd à digérer, nul besoin d’ajouter qu’on est loin des cigognes et petites abeilles du siècle passé…

Ce qui me gêne, voyez-vous, c’est que tous ces artifices cachent la réalité : un bourreau est un homme très faible qui s’engouffre dans les failles de sa victime hypersensible, résiliente, brillante, empathique. Cette relation finit par plonger la femme dans une grande dépendance, pas loin d’une addiction. Véritable chasse aux sorcières de notre millénaire, on traque les pervers narcissiques, on les voit partout, bien que les spécialistes affirment qu’ils ne constituent que 2 à 10% de la population, c’est déjà trop, vous me direz… Peu importe les chiffres, j’ai bien peur qu’on soit fascinés par la manipulation sous toutes ses formes et particulièrement dans le domaine amoureux. Croirait-on que les PN sont les sex-appeal et bad boys fétiches de notre société ? Célèbre-t-on la force dans la perversion ? Les aime-t-on parce qu’ils nous font devenir victimes et qu’on a enfin quelque chose à raconter ?

Croirait-on que les PN sont les sex-appeal et bad boys fétiches de notre société ? Célèbre-t-on la force dans la perversion ?

Je m’interroge et j’aimerais qu’on rende hommage à la résilience et non pas à la relation bourreau/victime. J’aimerais qu’on offre un répit à ces hommes et femmes qui portent en eux et sur eux une « cicatrice invisible ». C’est la blogueuse Mel qui m’a fait découvrir cette jolie expression dans un de ses articles :

« Vous voyez où je veux en venir ? Une blessure physique est un choc traumatique pour le corps et on peut dire que la relation d’emprise avec un ou une pervers narcissique est un choc psychologique d’une grande violence pour la personne qui le vit.

Comme lors d’une blessure physique, après cette relation, ce choc vécu pendant des mois et souvent pendant des années, le corps et l’esprit n’en ressortent pas indemnes.

Bien évidemment, après une relation avec un pervers narcissique, même si l’on a encore mal ou que l’on a eu mal, la cicatrice, la blessure, elle, ne se voit pas. Il n’y a pas de marque, pas de signal d’alarme qui rende les gens plus délicats et plus attentifs. »

Qui donc en parle de cette « cicatrice invisible » ? On préfère les gros titres, les romances perverties et les émotions exacerbées que le silence tout résilient de ces femmes et hommes qui empruntent le long et si solitaire chemin de la guérison.

Je me rappelle encore, et peut-être l’ai-je déjà mentionné, le gardien de la vieille église sur l’île de Procida, au large de Naples. Cet italien solitaire, homme de peu de mots, au teint buriné et animé d’une grande douceur, m’a fait visiter le toit délabré de l’église. Promontoire face à la mer indigo, ce toit était son refuge quotidien. Assis sur sa chaise, un livre à la main, un carnet ou la guitare du gitan posée tout à côté, le gardien de l’église a quelque chose de l’ermite des temps anciens. Il m’a montré les restes de l’abbaye à flanc de colline, l’île de Vivara, réserve naturelle abritant encore quelques vestiges et l’île d’Ischia. Le gardien de Procida a le regard apaisé d’un homme qui a passé des heures, des mois, des années à contempler la mer et la Création. Je n’ai jamais retrouvé une telle sérénité chez aucun homme ou aucune femme que j’ai côtoyé(e).

Ce qui me vient à l’esprit, là tout de suite, c’est que nous portons tous des blessures visibles et invisibles en cours ou non de cicatrisation. Il est possible que nous ne soyons plus jamais la même personne, à l’image de Frodo qui comprend, une fois rentré de sa quête et du Mordor, qu’il ne sera plus jamais le hobbit joyeux et insouciant qu’il était. Je pense à tous ceux qui déclarent comme Frodo que certaines blessures sont si anciennes et si profondes qu’elles semblent s’être emparées d’eux.

Nous portons tous des blessures visibles et invisibles en cours ou non de cicatrisation

Frodo prend un bateau en compagnie des Elfes pour gagner l’Ouest, quittant définitivement la Terre du Milieu. Nous ne pouvons pas tous partir et fuir notre passé éternellement. Je pense, quant à moi, que Frodo ne fuit rien, il trouve simplement sa destination. Il faut renoncer à la Fascination pour abandonner sa dépendance à un manipulateur ou à quelqu’un de tout simplement nocif. Il faut sonder son âme avec honnêteté, lâcher l’anneau dans les flammes de la Montagne du destin, rentrer en soi-même comme dans un trou de hobbit et exposer ses blessures, non à notre monde hyperconnecté et médiatique, mais à la chaleur et à l’amour de l’Univers, sur le toit en ruine d’une église chahutée par la mer capricieuse.

J’ai trouvé la Grâce à Procida, comme le vieux gardien de l’église, peut-être parce qu’il m’a transmis, sans un mot, un peu de cette sagesse ancestrale si nécessaire au cœur de l’Homme et si longtemps oubliée. J’ai marché des heures sur le sable noir de cette île silencieuse et ma blessure a accepté de se découvrir pour être nettoyée par l’eau salée et pure de la mer. Sortie de mes décombres, j’ai commencé à respirer et depuis, je n’ai jamais cessé d’inspirer à pleins poumons.

Savez-vous quelle est la première et récurrente question qu’on me pose après la lecture de mon roman Starry, starry night ?

« Dites, Lise, c’est votre histoire, ou bien… ? »

C’est dire combien notre société est friande de déballages personnels et émotionnels. On veut un visage sous mon chapeau, on veut des noms sous le « elle » et « il » de mon roman, on veut du vrai, quoi !

Chères lectrices, chers lecteurs, et si le Vrai était un composé de vies reliées par divers canaux invisibles ? Si mon « elle » était une symphonie de « elles » blessées et résilientes, si mon « il » un chœur criard de faibles hommes sans passé et sans avenir ? Cesserez-vous de lire mon roman ? Il n’y a ni nom, ni lieu, ni date pour échapper aux projecteurs, éviter la fascination dangereuse et parler à toutes les femmes. C’est là ma vérité et mon combat…

Et si le Vrai était un composé de vies reliées par divers canaux invisibles ?

LISE

Unrequited love…

2 décembre 2019

« But about the rest of us ? What about our stories ? Those of us who fall in love alone ? We are the victims of the one-sided affair. We are the curse of the loved ones, we are the unloved ones, the walking wounded, the handicapped without the advantage of a great parking space ! Yes you are looking at one such individual… » Iris Simpkins, The Holiday.

Il faut bien dire que quand Kate Winslet ouvre la comédie de Nancy Meyers sur ces paroles sans prétention, Mesdames et moi-même, Lise, nous sommes scotchées sur notre canapé. Ce film-là, je ne risque pas de le mettre à la ben à ordure en moins de 50 secondes ! Ça y est ! On parle enfin de vous, de moi, des « unloved ones » et pas des autres à qui tout semble réussir : le travail, l’éducation des enfants, le blog, les photos, instagram, l’amour, l’amour, l’amour…

Iris, c’est moi, ça a été moi, toutes ces années ! Oui, je peux bien le dire maintenant, je peux me retourner et considérer le temps perdu à essayer d’être aimée, d’être indispensable, d’être celle qui donne tout ce qu’on ne lui a jamais donné, qui est tout ce qu’elle voudrait qu’on soit pour elle.

Alors comme Iris, j’en ai préparé des cadeaux, j’en ai mijoté des idées plus brillantes les unes que les autres pour trouver ce qui lui correspondrait exactement, ce qu’il attendait probablement, sans même le savoir, ce qui le définissait, ce qui le rattacherait à un souvenir commun dont j’étais bien la seule à me souvenir.

Et lui ? Bien sûr, il avait un cadeau, mais zut ! Il était resté dans la voiture ! Zut ! Il n’avait pas eu le temps ! Zut ! Je l’avais devancé ! Mais oui, bien sûr, il y avait pensé ! Comment pourrais-je en douter ? Comment pourrais-je être la seule à creuser mes nuits à la recherche du présent parfait, inattendu, sublime ? Puis à fouiller toutes les librairies du boulevard St Michel, bref, à remuer ciel et terre pour renifler, acheter, dédicacer, empaqueter l’élu que je porterais ensuite sur mon cœur jusqu’à lui… Zut ! Le sien est resté sur la banquette arrière !

Le temps perdu à essayer d’être aimée, d’être indispensable, d’être celle qui donne tout ce qu’on ne lui a jamais donné, qui est tout ce qu’elle voudrait qu’on soit pour elle…

JASPER : It’s a 1st edition ! Where did you find it ?

IRIS : Buried in that little place we found in Covent Garden that time.

JASPER : Why are you so great ?

Alors voilà ! Il vous dit que vous êtes merveilleuse, une perle rare, délicieuse d’attentions et de fidélité, attentive aux détails que d’autres ne voient même pas et puis, vous apprenez qu’il vient de se fiancer à une autre ! What’s the matter ? Qu’est-ce qui ne va pas chez moi ?

Je lis son moindre froncement de sourcil, je connais le plus petit grain de beauté sur son visage, je devine ses besoins avant même qu’il n’en ait conscience, je vois ses défauts et je l’aime quand même, il me plante, il m’oublie, il me trahit, et je l’aime toujours. Mais c’est l’autre meuf insensible, autocentrée, autoritaire, au rire d’oie qu’il préfère ?!

Par pitié, pincez-moi, réveillez-moi, c’est une grosse plaisanterie, je me suis trompée de vie, d’histoire, de planète, que sais-je ?

Eh oui, mesdames ! Vous connaissez ce scénario… C’est bien le monde réel, c’est bien vous, amoureuse seule, et c’est bien lui, gros égoïste aimé, chassé et toujours en chasse.

J’ai observé deux écoles de pensée.

Il y a celles qui vous disent : si tu lui fais de bons petits plats, si tu souris, si tu te brushing, te maquilles, fais du sport matin, midi et soir, briques ton appart du sol au plafond, il ne pourra pas te résister. C’est réglé en un mois, crois-moi !

(J’ai le regret de vous dire que c’est la vieille école : la femme est la geisha de l’homme, toujours performante, toujours aimante, toujours pimpante. Jamais un mot plus haut que l’autre, jamais fatiguée, jamais énervée, jamais frustrée.)

A ce rythme-là, il va vous adopter et il y gagnera un service sans larme, sans grève, sans arrêt maladie, sans désertion. Pouah ! Quel enfer !

La deuxième école est plus radicale : il ne t’a pas aimée, il ne t’a pas comblée, il ne t’a pas regardée. T’en fous ! On peut vivre sans un homme ! Bosse, bosse, bosse et tu ne vivras jamais aux crochets du mâle alpha. Ne fais jamais confiance à l’homme, ne baisse jamais la garde, neutralise-le ! Bon à ce rythme, on va toutes finir dans le GIGN pour traquer et abattre le mâle faible… Sauf que ça, c’est tout sauf la Femme !

Je sais, on a bien envie de s’endurcir parfois. On a trop souffert et on se dit : « plus jamais ça ! ». Malgré toutes nos plantades, on peut être sûres d’une chose, on aime, donc on est en vie. Lise vous dira que vous n’êtes pas obligées de reproduire à l’infini le même schéma désastreux :

  • je suis toujours attirée par des hommes insensibles ;
  • je m’entiche de ce pauvre nase ;
  • je n’en dors plus ;
  • je refais son portrait aux contours des mes vieux fantasmes ;
  • je lui donne tout ;
  • je me perds en lui, car je suis « the permeable membrane » dont parle Elizabeth Gilbert : « If I love you, you can have everything. If I love you, I will carry for you all your pain, I will assume for you all your debts, I will protect you from your own insecurity. » ;
  • je suis rejetée ou trahie ou bien je l’ai toujours été, mais une preuve manifeste me claque en pleine figure ;
  • je m’enferme pour pleurer toutes les larmes de mon corps (qui a souffert de tous ces régimes et exercices pour lui plaire) ;
  • je jure de ne plus jamais me faire embobiner jusqu’à ce que je rencontre un autre gus égoïste qui m’aimante parce qu’il me rappelle l’autre et tout ce que je ne suis pas « until I get so exhausted and depleted that the only way I can recover my energy is by becoming infatuated with someone else » (E. Gilbert, Eat, Pray, Love)

Je me perds en lui, car je suis « the permeable membrane »

Comment en sortir, les filles ? Peut-on seulement en sortir ?

La réponse est OUI, OUI et OUI !!! Vous êtes débordantes d’énergie et de ressources, comme Iris, mais vous dépensez tout pour des causes perdues, convaincues que vous ne méritez rien de mieux, que c’est déjà trop d’honneur qu’on daigne vous regarder et vous inviter, que c’est peut-être trop tard…

« And after all that, however long all that may be, you’ll go somewhere new and you met people who make you feel worthwhile again. And little pieces of your soul will finally come back. And all that fuzzy stuff, those years of your life that you wasted, that will eventually begin to fade… » Iris Simpkins

Un jour, on m’a dit : « Trouve-toi un nouveau petit ami, sors, et tu finiras par oublier ton ex, par remplacer tous ces mauvais souvenirs, tous ces rêves éteints par de nouveaux… »

Les filles, nous sommes d’accord, c’est le pire conseil qu’on puisse nous donner ! Oui, dans un film de 90 minutes, l’héroïne a le temps de souffrir, de « recover », de trouver le mec parfait et de l’épouser avant le générique, mais dans la vraie vie, ce n’est pas aussi simple, pas aussi instantané. Nous sommes faites de chair et de sang, il nous faut tout l’amour de l’Univers pour guérir et nous transformer en notre vrai Moi, celui qu’on a toujours craint de découvrir aux hommes, celui qu’on a oublié et masqué sous nos blessures pour le rendre moins encombrant.

La vie peut terriblement ressembler à ce spectacle de fin d’année qu’on préparait tout le mois de juin sous les ordres de la maîtresse. On nous apprenait la chorégraphie, on nous briefait, on nous coiffait, on nous maquillait, on nous rangeait deux par deux, on nous plaquait au fond de la scène (vivant et stoïque décor). La musique commençait et prise de vertige, j’imaginais ce qui se passerait si j’osais me lancer sur la piste, danser seule, chanter, hurler à tous les parents ma fièvre de vivre. Je chassais alors ce songe révolutionnaire prise de palpitations et de sueurs froides.

Coupable, étrange, je glisse alors mon masque, comme le difforme Gwynplaine de L’homme qui rit, persuadée que personne ne verra ma grimace sous mon sourire béat, je danse maladroitement pour ne pas être trop sublime, je suis les autres filles type bibliothèque rose persuadée qu’elles ont le rythme parce qu’on les a mises en première ligne, aveugle sous les projecteurs, je suis l’automate, la copie qu’on attend, ni brillante, ni médiocre, dans la moyenne…

Je suis l’automate, la copie qu’on attend, ni brillante, ni médiocre, dans la moyenne…

C’est parce que nous nous sommes perdues toutes ces années que nous enfouissons notre visage dans les bras de l’homme qui nous paraît socialement le plus fort, le plus aimé, le plus sûr de lui. Nous sommes son satellite, parce qu’il est en première ligne. Nous aimons cette partie de notre âme qui hurle dans le noir et que nous croyons, à tort, percevoir dans les gesticulations de cet homme inatteignable. Nous perdons des années à graviter, alors que nous pourrions occuper toute la scène.

Je crois, cependant, que cette chorégraphie à l’aveugle est nécessaire. A force de cercles concentriques, nous nous rapprochons de notre centre. Nos chevilles se fortifient et nous remplaçons la musique des autres par la nôtre. La petite fille que j’étais qui parlait fort pour se faire entendre, qui traversait sans vergogne la scène pour réclamer les derniers applaudissements que les autres enfants lui avaient volés, qui chantait à tue-tête, qui voyait dans le creux des nuages et dans ses rêves des amis imaginaires bienveillants renaît de ses cendres…

Je danse comme je veux et quand je veux, avec ou sans public, sans masque, sans fard, acclamée ou ignorée. Pour ce qui est des Fâcheux, je ne cache plus mes grimaces sous un masque de sainteté. Je leur claque la porte au nez comme Iris, je leur dis leurs quatre vérités et je m’en vais.

C’est dans le silence de mon âme et de l’Univers que j’ai senti mon masque écrasé contre mon nez. Je l’ai décollé petit à petit, avec soin, avec soin et méthode. Puis j’ai fait mon deuil, pas de lui, mais de qui j’étais ou plutôt de qui j’avais accepté d’être pour faire plaisir à tout le monde. J’ai regardé la mer inondant l’horizon et j’y ai vu la vie, la vie qui continue, qui trace son chemin et qui rejette ses mues sur le rivage. Mon masque a voltigé dans les airs et s’est brisé contre les rochers. Gwynplaine de l’amour, j’ai aimé ma grimace et elle est devenue mon sourire…

Copyright@lisepaty

Mon masque a voltigé dans les airs et s’est brisé contre les rochers. Gwynplaine de l’amour, j’ai aimé ma grimace et elle est devenue mon sourire…

« JE VEUX ÊTRE UN DE CES MOMENTS »

29 octobre 2019

Copyright@lisepaty

Qui n’a pas été intrigué voire fasciné par la relation de Karen Blixen et de Denys Finch Hatton ?

« Il y a des moments qui valent la peine. Mais il faut en payer le prix. Et je veux être un de ces moments. » déclare Meryl Streep, alias Karen à Robert Redford, alias Denys.

Ils s’aiment à n’en pas douter, mais Karen et Denys n’attendent pas la même chose de l’amour, de leur relation, de l’Afrique…

Karen : Vous demandez-vous souvent si je me sens seule ?
Denys : Non, en effet. […] Qu’est-ce qu’un mariage changerait ?
Karen : J’aimerais quelqu’un qui, enfin, m’appartiendrait.
Denys : Non. Détrompez-vous. Karen je vis avec vous parce que j’ai choisi de vivre avec vous. Je ne tiens pas à être accroché à la vie de quelqu’un. Ne me demandez pas cela. Je ne veux pas découvrir un beau jour que ma vie c’est la vie de l’autre. Je veux bien payer le prix pour cela, et me retrouver seul parfois, ou mourir seul s’il le faut. Je trouve cela normal.
Karen : Pas tout à fait. Vous me demandez d’en payer le prix également.
Denys : Non. Je vous laisse le choix. Mais vous n’êtes pas prête à m’accorder le même. Je n’aurai pas plus de tendresse, je ne vous aimerai pas davantage à cause d’un bout de papier.
Karen : Pourquoi votre liberté serait-elle plus importante que la mienne ?
Denys : Erreur. Je ne me suis jamais immiscé dans votre liberté.

Ce dialogue brillamment interprété à la fin du film Out of Africa de Sydney Pollack, retraçant l’autobiographie kenyane de Karen Blixen, révèle toute la complexité de deux individus et de leur relation amoureuse.

Karen a des blessures à panser quand elle rencontre Denys et lui aussi. Ce qui rapproche la danoise cultivée du baroudeur solitaire, c’est l’Afrique, plus précisément, le Kenya. Ils s’aiment dans ces grands espaces arides balayés par des mammiphères fascinants et un vent tout-puissant. Ils s’aiment parce qu’ils sont libres dans le cockpit de Denys dominant les antilopes dans ce que Karen appelle « l’oeil de Dieu ».

Alors Denys demande à Karen d’utiliser son domaine comme point de chute au cours de ses safaris, il arrive, il l’aime, il repart et puis, quelques mois plus tard, il revient… Denys chérit sa liberté plus que Karen et sa vie même. Il est à la fois tendre et insaisissable. Il ne vit pas assez longtemps avec Karen pour qu’elle s’en lasse, ils ne partagent donc ensemble que le meilleur, chacun épargnant à l’autre ses préoccupations bassement matérielles.

Ne pourrait-on considérer cette relation comme idéale ? Aller, venir, répéter le cérémonial de la séparation déchirante et du dernier baiser aux pieds de l’avion ou d’un éléphant, vivre à nouveau les retrouvailles délicieuses et inattendues en rentrant du champ. Ne garder, en somme, que le nectar d’une romance et de son éternel recommencement, sans les contrariétés qui épaississent et tuent la magie des premiers instants.

Pourtant les mois, les années passent et Karen finit par en demander plus à Denys. Elle se sent plus seule qu’autrefois et cette instabilité si étourdissante finit par lui peser. Denys n’est pas là pour se battre avec elle quand il s’agit de sauver la ferme des flammes, il est parti, il est au volant de sa jeep, magnifique d’intrépidité et de force à l’état brute ; il appartient au Kenya, nouvelle espèce rare et sublime au milieu des lions et des éléphants.

Mesdames, nous sommes bien d’accord, ce que nous aimons tant chez Denys, c’est qu’il est un homme, un vrai ! Il a passé l’épreuve de nos rayons X et il faut bien le reconnaître, il est en tête de course ! Il ne vit pas chez papa et maman, il ne passe pas ses nuits devant les écrans des jeux vidéos, il gagne sa vie et ne demande pas d’argent, il entretient sa musculature et son brushing et surtout, il sait comment survivre dans la Nature.

Denys pourrait :

  • vous fournir à la seule force de ses bras du gibier matin, midi et soir – sorry pour les Végétaliennes –
  • faire ronronner la jeep sur la piste infinie,
  • tracer une nouvelle route jusqu’à la tanière des lions,
  • élever l’avion et vous-même au-dessus des nuages
  • monter votre tente,
  • accorder le gramophone à vos pas de danse – danse qu’il maîtrise et guide, bien sûr –
  • et surtout vous écouter à genoux, avec admiration, raconter des histoires que vous inventez en sondant la profondeur de ses yeux.

Ah ! Vous avez décroché de mon article, fermé les yeux et dépeint en vous-mêmes cette vision d’un autre monde. Eh oui, ça nous change du : « Chérie, ça te dit un petit kebab ? une petite ligue des champions ? une petite partie de Fortnite ? »

Ne préférons-nous pas parfois qu’il ne nous promette rien – si ce n’est de revenir de temps en temps – que de s’engager pour nous coller à la peau, nous envahir, nous dilapider, nous agacer encore et encore ?

Alors, moi, Lise, je me pose une question : est-ce qu’il finit par nous agacer parce que la routine rouille tout – le robinet qu’il ne répare jamais, les caresses qu’il finit par réserver exclusivement à son nouvel Iphone 11, la valse de mariage oubliée au fond du placard et enfermée dans le vieux 33 tours rayé et crincrin ? Ou bien nous agace-t-il parce que nous avons mal choisi dès le départ ?

Terrifiée à l’idée de rester seule à jamais, ne l’auriez-vous pas choisi après le chagrin du grand amour, par défaut, par coup de foudre hormonal, pour faire plaisir à tout le monde, portée par la frénésie juvénile d’organiser enfin votre mariage et plus jamais celui des autres copines de lycée ?

Karen lance avec désespoir à Denys : « J’aimerais quelqu’un qui, enfin, m’appartiendrait ». Il n’en faut pas plus pour faire prendre la poudre d’escampette à tous les Indiana Jones, Finch Hatton, Knightley, Thornton, Rochester et Darcy (« Darcy » of course, je n’ai pas pu m’empêcher) de la terre, les vrais hommes quoi…

Il rentre à peine dans votre vie et vous voulez déjà qu’il vous appartienne comme un animal de compagnie, un paratonnerre, un gros ours en peluche qui ne vous laissera pas les bras ballants dans votre immense lit et votre abyssal besoin d’être aimée, écoutée et protégée.

Un gros ours en peluche qui ne vous laissera pas les bras ballants dans votre immense lit et votre abyssal besoin d’être aimée, écoutée et protégée

Je ne fustige pas ce besoin, il est réel, viscéral, coincé dans nos tripes. C’est bien la pompe de toutes nos larmes, le siège de toutes nos frustrations et probablement, une part de notre « malédiction » comme l’a si bien formulé une de mes amies, brillante auteure, Nadège Éros. Elle appelle cela « la malédiction d’Ève » énoncée dans Genèse 3 : 16. « Il dit à la femme: J’augmenterai la souffrance de tes grossesses, tu enfanteras avec douleur, et tes désirs se porteront vers ton mari, mais il dominera sur toi. »

Tout un programme, n’est-ce pas ? Je ne prétends pas tout comprendre, mais ce dont je suis sûre c’est que notre ADN contient cette tendance naturelle à attendrir notre cœur pour l’homme. La féminité, c’est la douceur, la tendresse, les antennes émotionnelles nous permettant de sentir les besoins des autres avant les nôtres. Autrement, il n’y aurait aucun enfant sur cette terre, car aucune femme ne supporterait les douleurs d’un deuxième accouchement, le tracas d’un deuxième programme de croissance, l’épanchement de l’âme sur le souffle et les larmes d’un deuxième et si fragile être humain.

Que font les hommes de tous nos désirs qui se portent vers eux ?

Une fois encore, plusieurs réactions possibles, plusieurs profils :

  1. Cette bouffée de tendresse les effraie : nous les avons regardés trop intensément, écrit trop de messages en quelques jours, serrés trop fort dans les bras au moment de se quitter sur le quai. Ils décident de faire les Morts… On finit par croire qu’ils ont changé de téléphone, de continent, ou comme j’aime à la dire de tanière (en réalité Mesdames, l’ours est tout simplement retourné à la caverne et continue de prospecter sur Meetic, de tchatter avec dix blondes en même temps, sans même sortir son gros orteil de sa paillasse pour aller à la rencontre des dites femelles).
  1. Tant d’attachement précoce les attire : vous croyez avoir trouvé the One ! Il répond à vos messages dans la minute, il exprime beaucoup ses sentiments, donne l’impression de lire en vous comme dans un livre ouvert. C’est le beau gosse sensible des films de noël qui porte votre sapin avec le sourire, d’un seul bras de préférence, sans perdre son superbe brushing qui a coûté une tendinite à la maquilleuse/coiffeuse du plateau de tournage. Mais enfin réveillez-vous, le beau gosse du sapin au sourire Colgate n’existe pas dans la vraie vie !!! C’est une pure création des studios ciné et celui qui lui prête son corps dans la vraie vie reste un homme, un vrai, rendu plus « pétillant » par l’assaisonnement habituel : égoïsme + maladresse. Le numéro 2 dans la vie réelle vit généralement encore au-dessus du garage de papa et maman à qui il verse une obole annuelle – en fait il s’agit généralement du cadeau de noël. En creusant vous comprendrez bien vite que le numéro 2 a une relation assez fusionnelle avec sa maman, d’où son hypersensibilité et son épanchement d’âme. Peu viril, attendez-vous à porter à sa place le sapin de noël et à clouer seule le parquet de la maison dont vous rembourserez à 80% le prêt, 20% pour son honneur, tout de même. Le numéro 2 finit par dépendre totalement de vous, tout comme il n’a cessé de dépendre de maman depuis la grossesse (pour peu que cette dernière soit « castratrice », c’est mort, les filles) : « fuyez, pauvre [folles] », comme dirait Gandalf !
  1. Tant de dévotion vous attire : vous n’avez rien tenté, rien décidé, c’est lui qui vous embarque dans une folle croisière/lune de miel/noce d’or. Vous ne savez plus, il va tellement vite que chaque minute devient une année et chaque heure une décennie. Tout se précipite au rythme effréné de sa passion et vous vous immergez avec délice dans cette vague d’amour qui vous soulève et vous dépose sur une plage paradisiaque. Le numéro 3 – qui est, bien évidemment, émotionnellement instable, mais n’ira jamais consulter – sait appuyer sur tous les boutons de votre « malédiction » originelle, probablement amplifiée par une blessure d’abandon qui noie toutes vos peurs inavouées. Une fois que le numéro 3 entre dans votre vie, vous ne savez plus comment vivre sans lui, respirer à côté de lui, aimer après lui. Il le sent, il renifle votre âme et la manipule pour assouvir ses besoins égoïstes et colmater les fissures de sa vie personnelle bien souvent minable, chaotique, en plein naufrage. Le bateau prend l’eau de toutes parts, mais il vous fait croire que c’est pour voguer plus vite vers les Bahamas tant promis. Prestidigitateur du néant, il finit par ralentir sa propre passion, réelle ou feinte ? Et vous quittez en chaloupe le naufrage, bien sonnées et égratinées, décidées à vous asseoir sur le rocher d’un rivage désert pendant au moins une bonne dizaine d’années pour mieux voir la tempête arriver et les marins se noyer.

Pessimiste Lise aujourd’hui ? – Moi ? jamais, voyons !

Reconnaissons notre tendresse, protégeons-la, comme nous le ferions d’un nouveau-né. Notre tendresse n’est pas à répartir dans le monde entier, notre âme n’est pas à dévoiler dès le premier rancard, non ? Si vous êtes comme moi, vous comprendrez ce que je veux dire.

Combien de fois ne me suis-je pas promis en rentrant d’un « rendez-vous galant » (la formule est heureuse, mais le contenu parfois moins funky et rarement glamour) que plus jamais je ne m’attendrirais aux récits bien creux de mon homme pour deux heures qui a décidé de me ravir les oreilles de son enfance oliver-twistienne, je traduis « Dis, j’ai souffert, non ? », suivi de « Dis, je souffre encore aujourd’hui, hein ? » et couronné du « Dis, je sens qu’avec toi, je vais moins souffrir demain, on parie ? ».

Non, non et non !!! Je ne suis pas Mère Teresa. On n’a pas encore fait de gosses et tu veux déjà en être un. Mec, tu me regardes bien ? GAME OVER… Cette formule je suis sûre qu’il la comprendra vu son maniement de l’anglais grâce aux jeux vidéos, mille fois meilleure que « Tu es un gars sympathique, vraiment, et je ne doute pas qu’il se trouve une fille sur la Terre prête à accueillir ta douleur et à la porter – comme tout le reste d’ailleurs, hum-hum – mais moi je suis trop égoïste, je pourrais te faire encore plus souffrir… ». Soyons claires, les girls, au bout des six premiers mots, il a décroché le gus.

Alors, n’hésitez pas le « G.O. », c’est parfait, sans ambiguïté, ça leur parle aux mecs, ça claque contre le front comme le râteau ! Surtout quand le gus pour deux heures poussera un rot – sursaut attendrissant de la petite enfance – en sortant du restaurant et constatera : « Mais, c’est que tu m’as coûté cher ! » et je n’ai même pas pris le dessert ! Du véridique mon article, pas de fake stories, les copines. D’ailleurs si vous en avez d’autres de cet ordre, déballez, déballez, qu’on se marre un bon coup ! Et avec ça on se cotisera pour publier le Manuel des rendez-vous galants pour les Nuls ou Comment sortir de la Caverne – 11e édition revue et corrigée par Lise.

J’ai une confession à faire. J’ai fréquenté de près les types 1, 2 et 3 évoqués précédemment et mon constat est le suivant : le numéro 1 est quand même le meilleur candidat, c’est Denys Finch Hatton. Il ne reste pas forcément coincé dans sa caverne, il aime parcourir le monde, travailler de toutes ses forces et prendre soin d’une femme. Seulement, il finit toujours par peser la femme et sa liberté dans la balance. C’est très difficile pour lui de décider. Tant qu’il est seul et sur les routes, il ne dépend de personne, ne blesse personne et ne manque à personne. C’est ce fameux prix à payer du baroudeur, dont Denys parle à Karen : « Je veux bien payer le prix pour cela, et me retrouver seul parfois, ou mourir seul s’il le faut. Je trouve cela normal. »

Tant qu’il est seul et sur les routes, il ne dépend de personne, ne blesse personne et ne manque à personne

Mais quand on aime le baroudeur, quand on a vu son âme baigner ses yeux, son sourire accompagner vos paroles, ses mains hisser un hamac entre deux arbres, ses bras étendre sa veste tout-terrain sur vos épaules frissonnantes, sa voix vous parler d’un monde de silence et de signes traversé en moto sans rien que la route vierge devant soi, comme il est difficile de rompre la « malédiction » ! Vous n’avez qu’une envie, c’est d’attraper ce papillon de nuit et de l’enfermer dans votre boudoir, ou plutôt d’arponner ses ailes et vous laisser porter au gré du vent vers de nouvelles étendues sauvages.

Denys n’emporte Karen avec lui que quelques heures pour percer le secret de la savane africaine et du monde à ses côtés, dans son cockpit. Quelques heures, un grain de sable dans les heures et les mois de son absence capricieuse. Quelques heures, c’est tout ce qu’il a à lui offrir sans se sentir envahi. La chaleur d’un soleil de fin d’été qui inonde le hamac de fortune et baigne mon corps, une conversation bientôt éteinte, c’est tout ce qu’il a pu m’offrir. Puis, tout comme Denys, il est parti et je suis restée à l’attendre, tout comme Karen.

Ironie de la vie, non ? Pourquoi faut-il que ce qui soulève notre âme ne dure qu’un battement de cils ? Il ne m’a jamais appartenu et vouloir l’enfermer dans la cage dorée de mes rêves, ne serait-ce pas justement ne pas l’aimer ? Karen Blixen déclare sur la tombe prématurée de Denys :

« Sage est le garçon qui craignant les chimères s’éloigne à pas furtifs d’une gloire éphémère.

Même si des lauriers couronnent ce virtuose, ils se faneront plus tôt que la rose.

Désormais, tu ne feras plus route auprès des vainqueurs coûte que coûte.

Ceux que la célébrité dépasse et dont le nom meurt quand ils trépassent.

Ton front toujours ceint de lauriers fascinera ceux que la mort a conviés.

Tes mèches s’efforceront de retenir cette couronne plus précaire qu’un rire.

Reprends maintenant l’âme de Denys George Finch Hatton que tu partageas avec nous.

Il nous apporta la joie et fut notre bien-aimé.

Il ne fut pas à nous. Il ne fut pas à moi. »

Mon ultime conseil et après j’en aurai fini pour aujourd’hui, pour ce soir, le voici : ne traquez pas cet oiseau rare et libre, aimez-le dans le clarté du frais matin, remplissez vos vides de l’amour inconditionnel de l’Univers et priez-le qu’il vous ramène votre homme de son exil.

Copyright@lisepaty

Il est fort possible que vous soyez justement l’oasis dans le désert d’un berger intrépide, son puits de Jacob, l’Âme du monde, « Mektoub » (son destin), sa Légende personnelle…

« Mektoub », se dit-il. […] Et le jeune homme resta un long moment assis à côté du puits, comprenant qu’un jour le levant avait laissé sur son visage le parfum de cette femme, et qu’il l’aimait avant même de savoir qu’elle existait. Et que l’amour qu’il avait pour elle lui ferait découvrir tous les secrets du monde.

Paulo Coelho, L’Alchimiste.

« Mais surtout, il y avait David »

20 mai 2019

« Mais surtout, il y avait David, le fils cadet, qui avait collectionné les écoles et autant, si ce n’est plus d’aventures. Il était beau, charmant, drôle et romantique… » Sabrina Fairchild

Planquée tout en haut de son arbre, Sabrina observe la fête des Larrabee, soirée somptueuse, mère dans tous ses états, fils aîné en pleine transaction commerciale, pendant que le petit dernier, David, fait valser toutes les jeunes femmes appartenant aux riches familles de la Côte Est.

Sabrina aime David depuis toujours et elle déclarera plus tard : « Je ne connais personne d’aussi parfait que David, même pas David ». Sabrina est la fille du chauffeur et elle s’en va pour étudier la mode à Paris. Son père espère qu’elle finira par se débarrasser de cette obsession pour le riche et insipide voisin d’à côté pendant ces quelques mois dans la Ville Lumière.

David est parfait, plus que parfait, parce qu’elle le voit de son arbre. Elle est loin de lui et elle le dévore des yeux. Elle donnerait tout pour prendre la place de cette femme muette qui croule sous les compliments habituels de David : « Ne vous a-t-on jamais dit combien vous êtes belle, votre sourire, vos yeux…ah… »

Quelques mois plus tard, Sabrina dansera elle aussi avec David, sur la même musique, il portera le même smoking et déballera les mêmes compliments. Tout ça parce qu’elle a changé de coupe de cheveux !

Sabrina anticipera ses moindres mots, ses moindres gestes, ses moindres invitations : « Ça ne peut être que dans le solarium… » et il répondra : « J’aurais dû vous prêter plus d’attention, je ne sais pas à quoi je pensais… ». « À vous », s’empresse-t-elle d’ajouter.

L’orchestre entame « How can I remember things that never happened… » et Sabrina se retourne vers David. Toute sa vie, elle a rêvé de danser ce slow avec David. Il la regarde et avec tendresse lui dit « Pour vous… ». Encore une coupe de champagne et une autre, Sabrina regarde au loin l’arbre où elle se hissait, jadis, pour voir David et projeter son reflet sur toutes ces femmes qui défilaient entre ses bras. « Et puis, je me réveillerai » se murmure-t-elle au moment où il l’invite à boire un verre dans le solarium.

« Et puis, je me réveillerai… »

Combien de fois ne me suis-je pas répété cette phrase ?

J’ai souvent préféré vivre un instant romantique parfait avec un parfait looser qu’une succession d’heures plates avec un homme sérieux. Il est étonnant de remarquer combien nous restons lucides lorsque nous faisons un tel choix. Nous savons que cet instant n’a pas d’avenir, puisqu’il est, par définition, coincé dans le temps par sa nature éphémère ; nous savons que l’homme en question aura épuisé ses molécules d’intelligence et de profondeur humaines au bout de trente secondes ; nous savons que nous allons perdre des heures de notre vie à reconstituer encore et encore cet instant parfait jusqu’à ce qu’il soit rallongé et cousu avec nos fantasmes tirés de romans, de films, d’une imagination débridée. Et pourtant, nous fonçons sans hésiter vers le solarium en priant pour que notre parfait looser ait pensé aux fleurs, aux chocolats, à la musique d’ambiance, au nœud pap et au sérum physiologique pour imiter les larmes. Car on n’aime rien tant qu’un grand baraqué qui pleure en énumérant nos charmes et finit par nous faire pleurer.

Vous, lui, moi, personne ne sait ce qu’est l’Amour, le vrai, le grand, l’éternel.

Du temps de mes grands-mères, l’Amour était rattaché au Devoir. Certes, on n’avait pas vraiment vu son fichu caractère avant le mariage et on aurait pu se dire qu’il y avait erreur sur la marchandise, qu’on n’avait pas signé pour ça, mais on restait. Il y avait les enfants, il y avait la morale, il y avait le devoir et il y avait lui qui était fidèle dans l’accomplissement de ses tâches d’homme. Il veillait sur la famille, il se levait tôt pour aller travailler, il économisait pour les vacances d’été, il était là. Chacun faisait de son mieux pour rester, to stay in and not out. Et quand les enfants étaient partis, on se rendait compte qu’on connaissait tout de l’autre, on l’avait vu dans toutes les situations, on connaissait ses plats préférés, l’odeur de son savon et de sa peau, ses petites manies, la place où il laissait ses chaussures, le son de sa voix, chaque nouvelle ride, l’empreinte de sa main dans la sienne. Je revois mon grand-père allongé à l’hôpital, les yeux fermés, les traits crispés par la douleur et ma grand-mère qui avait saisi sa main. Pas un mot, pas un baiser, pas une caresse, juste une friction, la chaleur de sa paume, une attention de chaque instant jusqu’à la fin. J’ai alors pensé : ce doit être ça le vrai Amour, rester quand on aurait mille bonnes raisons de s’en aller, rester et finir par aimer.

Aujourd’hui, l’Amour doit être un Symptôme sinon ce n’est que de l’amitié : ça vous tombe dessus, vous avez envie de l’embrasser, de le dévorer tout cru et quand cette passion s’éteint, il faut s’en aller pour la revivre ailleurs. Attirance, baisers passionnés, Tour Eiffel, selfie, couples scratch-scratch, puis glue-glue, restaurant à cinquante euros le couvert, roses rouges achetées dans le métro, violons crincrin chantant La Vie en rose et j’en passe.

Résumons : il nous faut une relation bien physique et mièvre à la fois. Résultat d’une déformation néfaste dispensée par cette armée de films romantiques où les couples se connaissent à peine, mais se dévorent les lèvres et les joues pendant un quart du film et les trois autres quarts, ils ne vivent que des expériences qui n’ont absolument rien à voir avec la vraie vie – le quotidien qui fait bien suer, les chaussettes sales de l’homme dans la salle de bain, les factures EDF et les dîners surgelés brûlés…

Après un lavage de cerveau intégral dans les salles de ciné pendant les dix-huit premières années de notre existence, nous entrons dans la vie adulte incapables de définir le véritable Amour et affamés de désirs trop précoces pour juger avec lucidité.

Un événement « romantique » nous tombe dessus, ce que Sabrina Fairchild appelle l’effet « solarium », et nous plongeons la tête la première avec tous les loosers de la terre. Soit nous recouvrons rapidement la raison, soit nous continuons de plonger, plonger, plonger dans l’espoir que les instants romantiques se répètent un jour ou l’autre.

Croyez-moi, je sais exactement de quoi je parle, on coud bout à bout les quarts d’heure romantiques – version originale – on se les passe en boucle, ce qui a le mérite de les rallonger – version longue – et on se noie dans une histoire sans lendemain, puisque le looser a déjà tout donné en quarante-huit heures. On reste en lui mendiant d’autres instants romantiques, il a son rire en coin, parce qu’il a déjà assuré ses arrières – une proposition de mariage – et on meurt à petit feu. Puis on se tire, on fout le feu à cette histoire, aux instants romantiques, à tout et on retrouve sa liberté.

Ma conclusion est la suivante : le féminisme à outrance a tué la femme et l’homme. La femme, parce qu’elle se croit obligée de jouer le rôle du mec – assurer la sécurité matérielle, pousser l’homme à la séduire, porter les packs d’eau, tout contrôler, tout organiser, tout régenter – et se berce d’illusions romantiques qui n’ont rien à voir avec l’Amour, l’aigrissent, l’obsèdent et la rendent envieuse.

Quant à l’homme, il est réduit à l’état d’un adolescent qui craint les femmes et ne sait pas par quel bout les prendre. Il lui semble qu’elles réussissent tout mieux que lui et qu’elles peuvent tout faire mieux sans lui. Il voudrait être le garant de la sécurité, mais la femme le fait déjà ; il voudrait lui bâtir une maison de ses mains, mais elle a déjà investi dans trois propriétés qu’elle loue et gère comme une chef ; il voudrait lui faire découvrir le monde, mais elle sillonne déjà le globe pour son travail ; il voudrait qu’elle lui parle de leurs enfants, mais elle n’en veut pas pour l’instant. Elle n’est jamais là et lui a déjà retapissé trois fois sa maison à elle.

Les instances éducatives martèlent la tête des enfants de cette grande vérité : le garçon est une fille et la fille est un garçon. On peut tout choisir et tout changer pour plus d’égalité. Félicitons-nous d’élever les androgynes de demain qui assisteront probablement à l’extinction du genre humain !

Au risque de passer pour ringarde et vintage, j’affirme que l’Amour, le vrai, ne se trouve que dans la Complémentarité, le Respect et le Temps. Le reste n’est que passion, illusion, égoïsme, contrefaçon et solitude. J’aime être femme et cela n’a rien de commun avec le fait d’être homme. Je m’accorde ma chambre à moi, comme dirait Virginia Woolf, j’y crée des mondes et c’est dans cette vérité intérieure que je m’avance vers l’homme pour lui offrir la douceur, la paume de ma main, les bras pour le serrer, le sourire pour l’apaiser et les enfants pour le prolonger à l’infini. La vie qui engendre la vie, c’est peut-être ça l’Amour, qui sait ?