ÉVEIL…

On parle beaucoup d’ « objectifs », de « résolutions » chaque mois de janvier de chaque année. Il en résulte un abonnement à la salle de sport, un régime, un coaching, une thérapie, ou bien une liste longue comme le bras du plan d’attaque parfait contre le grand méchant « Procrastination » !

La pensée m’est venue que le changement ou l’éveil est un processus bien plus sérieux, bien plus dérangeant et bien plus continu. A la fin du mois de décembre 2023, j’ai fini après un an de lecture, de mots griffonnés dans la marge et de passages soulignés deux à trois fois Quand la conscience s’éveille du prêtre jésuite Anthony de Mello. C’est une amie très chère qui me l’a offert au crépuscule de 2022 en m’assurant que ma vision de la vie, des autres et surtout de moi ne serait plus jamais la même, elle avait raison !

@ChristopherKing.photographie

Cette lecture comme d’autres constituent des dates-clés dans mon existence, mais uniquement si l’action de lire a été les prémices d’un changement intérieur bien réel et d’une traversée toujours nécessaire du désert, de mon désert, endroit absolument solitaire et brûlant où l’on accepte d’abandonner toutes les attaches faussement rassurantes, toute dépendance, toute habitude, tout conditionnement, toute fausse croyance, en bref tout ce qui définit « le vieil homme » dont parle la Bible pour aller à la rencontre d’une nouvelle vérité transformatrice et donc, d’une conversion.

Tony de Mello écrit : « Spiritualité signifie éveil. La plupart des êtres sont assoupis et l’ignorent. Ils sont nés endormis. Ils vivent dans leur sommeil ; ils se marient dans leur sommeil ; ils conçoivent leur progéniture dans leur sommeil ; et ils meurent sans même se rendre compte qu’ils ont passé leur vie endormis. Ils ne saisissent jamais le charme et la beauté de cette aventure que nous appelons l’existence. »

Il est bien vrai que nous ne sommes qu’une poignée à accepter le chemin de la transformation spirituelle parce qu’il est tout aussi vrai que nous ne savons pas être seuls. L’arrachement de la naissance nous a laissés dans un tel effarement que nous faisons tout pour ne plus jamais renouveler cette terrible expérience : le froid, la lumière aveuglante, la cacophonie, la séparation et la peur… La peur, face cachée de l’amour, du véritable amour, non pas de celui qui s’accroche et qui donne pour ne pas perdre, mais celui qui irradie naturellement sans même se rendre compte qu’il donne à l’autre, l’amour jaillissant de la plus grande et de la plus belle des libertés. Faites de moi un être libre et je saurai aimer : moi, Dieu et mes semblables.

Avant mon premier éveil spirituel, je me suis accrochée à une relation toxique, disons à tout un tas de relations toxiques par peur du froid, de la lumière aveuglante, de la cacophonie, de la séparation et du vide. Craindre de ne plus être aimé ou pas pour ce qu’on est réellement fait faire les plus grandes folies et finit par conduire aux plus belles leçons de l’existence, à condition que l’on accepte de traverser ce désert solitaire après avoir été consommé et consumé autant qu’il est possible. Quand je parle de relations toxiques, il s’agit autant du domaine amoureux que familial, amical et professionnel. La vérité est que personne ne veut vous « voir » pour qui vous êtes réellement et depuis toujours, on a juste besoin de vous comme sauveur des causes désespérées et l’attirance entre votre besoin d’être aimé et celui d’être sauvé en face de vous est si puissant que le lien est quasi automatique…

J’ai perdu ma voix, véritablement ma voix physique, j’étais plongée dans la stupéfaction et le silence tant j’avais vogué loin de moi-même et de ma voix intérieure. Ma psychologue de cette époque – époque que j’aime appeler « retour de l’enfer » ou « back from hell » (ça sonne quand même mieux en anglais) – m’a alors expliqué que mes extinctions chroniques de voix étaient le signe que j’avais perdu les deux : ma voix et ma voie. Combien elle avait raison ! J’ai parlé de tout ça dans mon premier roman Starry, starry night donc il ne me semble pas nécessaire d’y revenir. La conclusion est simple : j’étais sur le point de me marier en dormant, d’avoir des enfants en dormant, de faire plaisir à tout le monde en dormant, donc de vivre en dormant pour les trente bonnes prochaines années et ce faisant de mourir à petits feux… Il a raison Tony ! Quel visionnaire !

Aujourd’hui, je constate avec effroi que la plupart des gens que je rencontre sont endormis métaphoriquement parlant. Ils vivent mais par nécessité, par habitude, bien conditionnés pour mener la vie parfaite qu’on leur a inculquée. Ils font ce que leurs parents faisaient et eux-mêmes ont fait ce que leurs parents faisaient vingt ans plus tôt et ainsi de suite… La chaîne générationnelle peut bien être pourrie par les secrets enfouis et les blessures émotionnelles, ce qui compte c’est que la vitrine à offrir aux regards des passants soit propre et nettoyée chaque dimanche matin. Quelle tragédie ! Quelle prison ! Ne vous voyez-vous pas déjà taper la vitre violemment, y projeter votre souffle haletant jusqu’à ce que la buée produite par votre propre colère recouvre tout. Vous étouffez ? c’est certain !

Ce bon Tony dirait que c’est très bien que vous étouffiez dans le 8m2 de votre vie conditionnée car c’est le début du réveil ! Puis, il est temps de sortir et de découvrir le monde réel et non pas celui fantasmé à travers les récits angoissants qu’on a pu vous marteler toutes ces années. Il est temps d’abandonner la voie de l’auto-sacrifice qui ne fait des autres de vos débiteurs éternels, ou encore la voie de la rigidité qui fait de la peur son maître, ou bien la voie de l’enfant qui ne devient jamais adulte et reste à la maison certain que des loups l’attendent à la sortie de la propriété, ou encore la voie de la colère qui s’intime le changement par le dégoût de soi… Tous ces états sont ceux de la division, car on ne peut pas être un quand on est hors de soi, hors de la vie, hors du divin intrinsèque, donc hors de l’amour.

L’éveil spirituel est un état très doux. On y trouve le repos, la fin des conflits intérieurs irritants et donc des conflits extérieurs gangrenant le quotidien. C’est le refuge après une longue marche dans les sentiers froids et boueux de l’hiver, le feu de cheminée vous attend et un état de paix indicible. Peu à peu, le refuge devient le Patronus ou encore la pensée positive qui permet de voler sous les grains de magie de la Fée Clochette. C’est la bulle lumineuse dans laquelle je commence chaque journée pour ne plus être tentée de revêtir mon masque social de sauveur. Mon Patronus à moi, c’est une maison en bord de mer baignée par la lumière du matin, avec les vagues qui lui lèchent les pieds, l’air salin qui fait tout pousser et la solitude bénie.

J’ai construit ce refuge année après année et j’ai fini par trouver l’homme qui était prêt à le respecter. À l’inverse des relations toxiques, il existe des cercles vertueux : la lumière attire la lumière, la liberté, les êtres également libres, l’amour véritable des cœurs généreux, la mer le vent du large… Au début de notre relation, et ça m’arrive encore de « rechuter », je demandais constamment à mon homme s’il m’aimait, puis si c’était bien vrai tout ça, tout ce bonheur. J’avais encore peur de perdre, de le perdre ou de me perdre – la frontière est bien mince. J’avais envie d’aimer plus complètement, mais j’avais aussi terriblement peur. Peur de tout bouleverser, de vivre avec lui, peur du mariage, du changement, du chiffre deux (et on m’invitait déjà à passer à trois ?). Tony écrit que l’opposition entre le Bien et le Mal est en réalité une opposition entre l’Amour et la Peur. Tout ce qui est bon dans ce monde vient de l’amour supérieur et tout ce qui est mal de la peur, émanation du traître Ego.

Pour ma part, j’ai vécu bien trop d’années dans la peur et j’ai fini par la détester, cette fausse amie qui nous susurre que, grâce à elle, rien de terrible ne va jamais arriver. Au contraire, elle nous prive de tout, de la vie, de la paix, de l’amour par ce tourbillon des angoisses dans lequel elle nous plonge. Certaines personnes en tombent malades, leur état psychique n’y résiste pas…

Mais j’ai découvert une leçon de vie fort précieuse : la peur n’est qu’une illusion, un brouillard artificiel qui s’enfuit en un claquement d’espoir et de joie. Elle est une arme puissante des forces ténébreuses et des personnes qui nous entourent pour nous manipuler, nous assujettir voire nous annihiler. Il m’est arrivé de regarder la peur droit dans les yeux et elle n’avait plus rien à dire, tout sonnait faux.

J’ai alors décidé de me donner une immense vague d’amour et Dieu a démultiplié cette énergie positive pour me rendre complètement libre. Je sais aujourd’hui que rien n’est jamais acquis, rien n’est certain et tout peut changer, et c’est tant mieux et même les fameux nuages de l’Étranger de Baudelaire finissent par passer…

« Eh ! qu’aimes-tu donc, extraordinaire étranger ?

– J’aime les nuages… les nuages qui passent… là-bas… là-bas… les merveilleux nuages ! »

Baudelaire, Petits poèmes en prose, 1869

Le désir de s’éveiller donne naissance à tant d’événements imprévus mais si beaux quand j’y pense ! Cependant, le réveil ne saurait plaire à tout le monde. Certaines branches ne résistent pas au vent du changement et aux mots vrais, ceux qu’on a trop longtemps tus par peur de déplaire. Je suis de plus en plus en paix face à cela. Chacun choisit et se doit d’être responsable de ses choix. Si la relation ne résiste pas au tomber de masque, c’est peut-être qu’elle n’était pas honnête et vraie, chacun jouait sa partition tout en étant imbriqué dans celle de l’autre et on répétait ce manège encore et encore sans être vraiment satisfait de cette mélodie grinçante.

Pour conclure, je dirais que nous devons plonger dans ces vagues de réveils successifs et je souhaite que 2024 soit encore une année de dépouillements : dépouillement des faux-semblants, dépouillement des croyances limitantes, dépouillement des conditionnements néfastes, dépouillement de l’Ego qui s’offense si vite et si fort. Je souhaite à nouveau rentrer en moi-même et prendre ma place dans la Création. Je souhaite renouveler les vœux que nous nous sommes échangés mon mari et moi dans cette pièce si privée et si lumineuse quelques minutes avant notre union, pas de témoins si ce n’est les Cieux souriants, pas de masques, juste nos âmes sincères que la vie avait durement éprouvées et nos cœurs libres et tendres. Je n’ai pas d’autre exemple de choix plus libre et plus conscient joint au tien que ce jour-là d’avril, mon amour. Nous continuons de nous choisir et d’apprendre à mieux aimer sans plus avoir peur.

Hier, j’ai souri sous un rayon de soleil inattendu de janvier en sortant de ma voiture et j’ai été baignée par l’amour de l’univers. Tout était bien et je le savais…

« La motivation qui nous conduit sur le chemin spirituel est de nous transformer nous-mêmes afin de pouvoir aider les autres à se libérer de la souffrance »

Matthieu Ricard, Le Moine et le Philosophe

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