La Grotte Chauvet

21 AOÛT 2019

« L’homme préhistorique fut inventé avant d’avoir été découvert et la préhistoire imaginaire d’antan influence encore aujourd’hui la vision de nos premiers ancêtres. »

Wictor Stoczkowski

Une telle déclaration prend tout son sens lorsqu’on pénètre dans la grotte Chauvet. On s’y rend avec des idées préconçues et clichés en tout genre d’hommes chevelus vociférant et peignant les parois des grottes les soirs de pleine lune. On se dit qu’au mieux ces gribouillis révèlent une « sensibilité préhistorique », au pire un enfant de cinq ans pourrait les inventer.

Bien que la grotte Chauvet 2 ne soit qu’une réplique de l’originale placée sous haute surveillance pour éviter toute dégradation humaine, l’illusion est totale. Je déambule dans les galeries obscures et moites, saisie par ce tour de magie scientifique presque parfait.

Je ne suis pas sous terre, c’est un autre monde, vieux, très vieux qui s’ouvre à moi, comme si mon corps du XXIe siècle avait pu se dissoudre dans le temps et glisser dans une strate oubliée. Les os, crânes, traces et couches d’ours sont imprimés dans la roche ou bien disséminés sur le chemin qui semble bien mener aux entrailles de l’humanité.

Je ne suis pas sous terre, c’est un autre monde, vieux, très vieux qui s’ouvre à moi…

Des hommes ont-ils pu coexister avec ces bêtes superbes ? La grotte n’appartient ni à l’homme ni à l’ours, ils y viennent au moment opportun et repartent après avoir fait le ménage pour leur colocataire de l’hiver ou du printemps. Une telle harmonie dans la Création relève du miracle… Les hommes et les ours ont-ils pu vivre côte à côte ?

Nous qui sommes nés aux heures sombres de la barbarie, de l’extinction des espèces et des guerres sans fin, nous ne pouvons qu’ouvrir grand les yeux quand l’empreinte d’un Aurignacien s’est enfoncée dans le sol moite, figée dans le temps, discrète signature de l’humain.

On m’indique un lieu de rassemblement pour les Aurignaciens où des pierres, des crânes d’ours sont disposés avec précaution. La guide tergiverse : lieu de discussion ? de rites ? de culte ? Je regarde tout autour de moi, saisie par une pensée fugace : et si cette grotte tout entière était un lieu saint que nos galoches du XXI siècle, notre curiosité insatiable et notre nature consommatrice viennent troubler ?

Un temple cerclé de roches et cadenassé par le Temps qui a été profané après des siècles de repos. Tombeau des ours et sanctuaire des hommes que l’Ardèche a jalousement caché dans ses entrailles pendant des siècles.

https://pontdarc-ardeche.fr/fr/incontournables-ardeche/la-caverne-du-pont-darc/lhistoire-de-la-decouverte-de-la-grotte-chauvet

Un temple cerclé de roches et cadenassé par le Temps…

Puis le regard glisse sur les parois de la grotte, tel un lézard impétueux, se raccroche aux stalactites dégoulinants et s’élance d’un coin à l’autre fiévreusement, croyant être le premier explorateur à faire irruption ici. J’ai eu l’impression d’être minuscule, à genoux, devant la grandeur et le génie de ces peintures rupestres.

Il ne s’agissait pas de délires enfantins ou bien d’une identité grattée à tous les coins et recoins de la grotte, mais bien plus d’un art conceptuel et à la fois très simple, un chant de la Création, comme j’aime l’appeler…

Un artiste aurignacien a utilisé la forme de la roche pour y intégrer une figure animale, son corps à demi tracé par la matière est achevé en « un coup de crayon ». Un art qui se passe de toile, un art qui jaillit des profondeurs de la grotte, un art poreux et solide, un art qui se parfait dans les ténèbres, grattant, raclant, traçant, combinant…

Comme j’aurais voulu être la première à dresser ma bougie contre ces parois pour dépoussiérer ces âmes froides coincées dans la roche depuis des siècles ! Nous reprenons notre parcours vers la fresque la plus époustouflante : lions, mammouths, rhinocéros, chevaux, rennes s’élançant dans une course folle en quatre dimensions – si l’on en croit les traits ajoutés pour retranscrire le mouvement des bêtes. Ils s’enfoncent dans les creux de la grotte, s’arrêtent pour toiser un autre animal et repartent, grouillant sur la roche humide, communiquant l’urgence de vivre et la flamme d’une quête à jamais dissimulée aux visiteurs.

L’urgence de vivre et la flamme d’une quête à jamais dissimulée aux visiteurs…

Les Aurignaciens avaient un tel respect pour la nature, les bêtes, la vie en général que leur art excluait l’humain. Cet égocentrisme qui gangrène notre société moderne. Nous sommes devenus si aveugles aux autres et aux animaux nobles qui peuplent cette planète que nous tatouons nos murs virtuels de notre sourire par tous les temps et en tous les lieux. Et parce que nous ne voyons plus que nous, nous nous accordons le droit de satisfaire tous nos besoins égoïstes et contre-nature. Voulez-vous un bébé sur commande ? parfait physiquement ? performant intellectuellement ? et pondu exactement à la période désirée, ni trop tôt, ni trop tard ? Ramassez le premier gus que vous rencontrez et il vous donnera la vie dans une ou plusieurs éprouvettes…

GrotteChauvet@lisepaty

Alors je me retourne une dernière fois vers la grotte qui dans ses ténèbres protectrices préserve la lumière d’une humanité éteinte, l’âme silencieuse de ces artistes prodigieux qui ont créé sans signer, vécu sans ôter. Je crois que chaque animal gravé dans la roche calcaire d’Ardèche a d’abord été une proie traquée, tuée et mangée. Je crois que pour chaque vie prise, l’Aurignacien a créé une sépulture éternelle, un dessin indélébile arraché au néant, un chant immortel accompagnant l’âme de l’autre côté du Styx. Puis la roche effondrée a roulé devant l’entrée et nous avons oublié…

GrotteChauvet et PontDeL'Arc @lisepaty

Puis la roche effondrée a roulé devant l’entrée et nous avons oublié…

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